Le 11 février, le président de la République a annoncé à Nantes qu'un certain nombre de places seraient réservées à des jeunes d'origine modeste ou issus de quartiers défavorisés dans les écoles de l'administration, dont l'ENA. Une forme de discrimination positive – souhaitée par le candidat Macron en 2017 – qui ne dit pas son nom, et qui s'inscrit dans une série de mesures visant à favoriser l'«égalité des chances».
Lors d'un échange avec une dizaine d'élèves de l'Institut régional d'administration (IRA) de Nantes, Emmanuel Macron a dressé un constat sombre de «l'ascenseur social» français, qui selon lui «fonctionne moins bien qu'il y a 50 ans» car la mobilité «est très faible». Comme le rappelle RTL, il y n'a par exemple dans la promotion actuelle de l'ENA qu'un seul fils d'ouvrier.
Parfois issus de la campagne ou des «cités», les élèves ont témoigné des obstacles qu'ils ont surmontés, entre méconnaissance des concours de la fonction publique et une forme «d'auto-censure». Emmanuel Macron a ainsi lui-même cité son parcours, affirmant à l'AFP après l'échange que lorsqu'il était à Amiens – la ville où il a grandi – il ne savait même pas que l'ENA existait. «Je l'ai découvert par hasard, à Paris. Je suis un enfant de la chance, sur ce point», a-t-il commenté.
Face à ces élèves-fonctionnaires, le chef de l'Etat a annoncé la mise en place d'une nouvelle voie «Talents», réservée à des jeunes d'origines modestes ou des quartiers défavorisés. Des accès leur seront réservés dans cinq grandes écoles publiques via des concours «Talents», dans la limite de 15% du nombre de reçus via le concours externe – soit 6 places à l'ENA, par exemple – et le nombre de places qui leur sont destinées dans l'administration passera de 1 000 à 1 700. Par ailleurs, un millier de places supplémentaires seront créées dans des «Prépas talents» (qui sont au nombre de deux par région) pour ces jeunes, qui recevront une allocation pour la diversité doublée pour atteindre 4 000 euros. Des mesure qui, selon Les Echos, seront mises en place dès la rentrée prochaine.
La «politique assumée de discrimination positive», une promesse de campagne
Reprenant une formule qu'il utilise depuis la présidentielle de 2017, Emmanuel Macron a insisté à Nantes sur l'importance pour les jeunes de «ne pas être assigné au milieu social ni au lieu où [ils sont] nés». Faute de quoi, «la nation se désagrège», car «c'est la promesse républicaine» qui n'est pas tenue. Le 7 mars 2017, en visite aux Mureaux (Yvelines), le candidat Macron avait défendu une «politique assumée de discrimination positive» pour les habitants de «certains quartiers [qui] se sont enfermés dans le communautarisme parce qu'on ne leur a plus permis de réussir», comme le rappelle Huffington Post. Même si le terme «discrimnation positive» a été depuis lors abandonné par Emmanuel Macron, c'est l'esprit de cette mesure visant à instaurer des voies d'entrée parallèle dans les grandes écoles de la fonction publique.
A ces annonces doivent s'ajouter une série de mesures visant à lutter contre «les inégalités à la racine». Comme le relève Les Echos, plusieurs mesures ont déjà été mises en place dans ce domaine, telles que dédoublement des classes de CP et CE1 dans les quartiers défavorisés, la mise en place du dispositif «devoirs faits» dans les collèges ou la «création des cordées de la réussite» et des «cités éducatives» – dont le nombre sera porté à 200 en 2022 – ou encore le plan «un jeune, une solution». Par ailleurs, le Premier ministre Jean Castex a annoncé le 29 janvier à Grigny un plan d'investissement de 3,3 milliards d'euros pour les banlieues sensibles, avec une priorité sur la rénovation urbaine. Une annonce censée marquer la première étape du plan «égalités des chances» soutenu par ses ministres issus de la gauche, selon Le Parisien.
Toujours dans cette volonté de faire de «l'égalité des chances [...] le fil rouge de ce quinquennat», selon les mots de la ministre Elisabeth Moreno, le gouvernement va donner ce 12 février le coup d'envoi de la plateforme «Anti discriminations», qui doit permettre de signaler des cas de discrimination par internet et par téléphone, au numéro 3928. Gérée par la Défenseur des droits et des associations, elle emploiera une dizaine de juristes spécialisés avec un budget annuel de 3,5 millions d'euros. «Aujourd'hui, quand on a une couleur de peau qui n'est pas blanche, on est beaucoup plus contrôlé [...] On est identifié comme un facteur de problème et c'est insoutenable», avait expliqué en décembre lors d'une interview pour Brut Emmanuel Macron en annonçant la création de cette plateforme.
Conserver l'ENA, mais la réformer
Instaurer des voies d'accès spéciales à l'ENA est par ailleurs la confirmation qu'Emmanuel Macron a bel et bien enterré sa volonté exprimée lors de la crise des Gilet jaunes de supprimer la prestigieuse école, dont il est lui-même issu.
«Il faut supprimer entre autres l'ENA. Je ne crois pas du tout au rafistolage, à la réforme un peu. Ça a déjà été tenté par, à peu près, tous mes prédécesseurs. "On va changer le classement de sortie, on va changer...", non, si vous gardez les mêmes structures les habitudes sont trop fortes», avait-il annoncé au printemps 2019. «Est-ce que notre haute fonction publique ressemble à la société que nous sommes ? Non. Dans notre recrutement et notre formation, nous avons plutôt reculé durant cette dernière décennie par rapport à notre situation du début de la Ve République», avait alors également affirmé Emmanuel Macron, tout en fustigeant les formations de nos hauts fonctionnaires, qualifiées de «moules à pensée unique».
Des déclarations qui avaient entraîné en février 2020 la remise d'un rapport, aux propositions déjà plus modérées : celui-ci ne recommandait plus de supprimer l'ENA mais de changer son nom, et proposait entre autres la suppression de l'épreuve de culture générale, considérée comme «discriminante». Le rapport issu de la mission du haut fonctionnaire et énarque Frédéric Thiriez préconisait également l'instauration d'un «concours spécial», dans lequel une partie des étudiants serait sélectionnée sur des critères sociaux, en mettant à l'honneur la mixité sociale à raison de 10% à 15% par promotion, avec des jeunes «à l'image de la société».
C'est donc finalement cette piste de réforme qui semble avoir été retenue par Emmanuel Macron, ce qui devrait satisfaire 15 députés de sa majorité qui ont le 6 février envoyé un courrier au Premier ministre Jean Castex dans lequel ils appellent le gouvernement à mettre en œuvre 13 mesures sociales tout en pointant du doigt l’«erreur» du gouvernement consistant à avoir enterré le rapport Thiriez. «Nous avons été élus sur la promesse de changement dans la formation de nos élites. Il va falloir accélérer», y déclarent les signataires.