Le tribunal administratif de Guyane a rendu sa décision le 24 décembre 2020 concernant le projet de Montagne d’or en Guyane. L’Etat devra «prolonger» les concessions minières du site d’extraction sur ce territoire français situé en Amérique du Sud. La cour a ainsi «enjoint l’Etat de prolonger» dans un «délai de six mois» les concessions en question. Le site pourrait alors devenir le plus grand projet d’extraction d’or de France.
Dès 2019, le gouvernement s'était pourtant positionné pour l’arrêt des concessions, mais le consortium russo-canadien Nordgold-Columbus Gold avait saisi la justice administrative. «On nous refuse le renouvellement d'un titre, mais on ne sait pas pourquoi. Le vrai fond du problème, c'est la décision prise dans ce Conseil de défense où on a indiqué que le projet ne se fera pas», avait dénoncé devant la cour l'avocat des industriels, Malik Memlouk, comme le rapporte l’AFP. Nordgold-Columbus Gold a argumenté en faveur du projet en promettant la création de 750 emplois directs et 3 000 indirects.
Une audience s’était tenue le 3 décembre devant le juge administratif. L’Etat étant absent, le rapporteur public avait pointé du doigt l’absence de «pertinence» et la «faiblesse» de ses arguments. Comme il l’a écrit sur Twitter le 24 décembre, le député anciennement LREM Matthieu Orphelin estime à ce propos que «l'Etat n'a pas été assez sérieux dans sa défense au tribunal administratif de Guyane» et évoque «une erreur à rattraper d’urgence».
Quelques semaines avant la décision du tribunal administratif, Emmanuel Macron affirmait dans une interview accordée au média Brut : «On a arrêté les projets que tout le monde laissait traîner, ne voulait pas arrêter [c'est-à-dire] Notre-Dame-des-Landes, la Montagne d’or, Europacity. Donc, je n’ai pas de leçons à recevoir.»
Le 23 mai 2019, à l’issue du premier Conseil de défense écologique, le Premier ministre Édouard Philippe expliquait pour sa part que l’Etat ne donnait pas son accord au projet, estimant qu'il était «incompatible avec les exigences de protection de l’environnement».
«Le gouvernement a totalement délaissé le procès»
Marine Calmet, membre de l’organisation Or de question, s'est exprimée auprès de RT France à propos de la décision administrative : «Il ne s’agit pas d’une surprise étant donné que le gouvernement a totalement délaissé le procès. Nous nous attendions à ce que la justice tranche en faveur de la compagnie Montagne d’Or.» La militante soutient que le gouvernement n'a pas défendu «les arguments juridiques qu’il aurait pu saisir» pour contrer la demande de la compagnie minière. Or de question demande aujourd’hui à ce que l’Etat «fasse appel de cette décision et se saisisse sérieusement des arguments qui peuvent être pointés dans ce dossier».
Elle déclare fermement que «ce projet ne passera pas» : «Il est absolument hors de question qu’il voit le jour sur le territoire, ni sous cette forme ni sous une autre, puisque la mine industrielle, quoi qu’il arrive, est incompatible avec les exigences en matière de protection du climat et de la biodiversité», d’autant plus qu’aucune «étude d’impact» n’a été publiée et qu’il «n’y a pas d’autorisation d’ouverture de travaux».
Le projet prévoit d’extraire de l’or au prix d’un déboisement de 1 513 hectares, dont un tiers de forêts primaires, où vivent 2 000 espèces animales et végétales, dont 127 espèces protégées, comme le souligne l’ONG WWF dans un rapport où l'on peut lire que «selon l’opérateur, l’extraction de l’or nécessiterait des milliers de tonnes d’explosifs et de cyanure, et 195 millions de litres de fuel durant les 12 années de vie du projet».
Marine Calmet alerte quant au fait que le renouvellement des concessions aurait «un impact extrêmement fort en terme de biodiversité puisque la zone dans laquelle est prévu le projet se situe entre deux réserves biologiques intégrales». En outre, il nécessiterait de construire «une route à travers la forêt», ce qui «perturberait la biodiversité» et «fraierait un chemin beaucoup plus facile aux orpailleurs illégaux», en plus de sévèrement accroître la consommation d’eau, qui pourrait atteindre «470 000 litres par heure».
Inquiétudes de l'ONU
Dans un avis rendu public le 10 janvier 2019, le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale, une instance des Nations unies, avait exprimé son inquiétude au sujet du projet de la Montagne d’or. L’article 32 de la déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones stipule que «les peuples autochtones ont le droit de définir et d’établir des priorités et des stratégies pour la mise en valeur et l’utilisation de leurs terres ou territoires et autres ressources».
Le juriste et membre de l’ONAG (Organisation de nations autochtones de Guyane) Alexis Tiouka pointait sur RT France quelques jours après cet avis que «la France a adhéré en septembre 2007 à la déclaration des Nations unies sur les peuples autochtones, et l’article 32 rappelle bien aux Etats que tout projet qui se fait sur le territoire national où il y a des peuples autochtones doit se faire en consultation avec les peuples autochtones».
Si on développe l’économie verte, l’agriculture, il y aura beaucoup plus d’emplois [créés]
Il rappelait alors que «tous les chefs traditionnels et les organisations autochtones ont demandé à ce consortium canadien russe de faire un débat dans la communauté, qui a été refusé». Selon lui, la création d’emplois est «un mirage» […] Si on développe l’économie verte, l’agriculture, il y aura beaucoup plus d’emplois [créés]».
Près de 30 projets d’extraction aurifère sont en cours en Guyane. Ensemble, ils pourraient conduire à la déforestation de 360 000 hectares. Au printemps 2020, la préfecture avait convoqué la Commission départementale des mines de Guyane afin de faire voter le projet Montagne d’or Bis qui doit être mené en 2025 dans la commune d’Apatou, à la demande de la Compagnie Espérance du groupe Ostorero.