Ces élections européennes auront créé un précédent : l’écologie a fait une entrée fracassante dans la quasi totalité des programmes des partis en lice. La protection de l’environnement et la lutte contre le réchauffement climatique sont devenus la préoccupation n°1 ou 2 des Français, selon les sondages, en balance avec l’immigration. Un sondage européen de YouGov publié le 13 mai place même l’environnement à la première place, à 29%, loin devant l’immigration à 20%.
«L’écologie, c’est le thème qui mobilise : il y a les marches pour le climat, l’affaire du siècle… Les Français sont mobilisés, et leur intérêt pour l’environnement a beaucoup évolué, les Verts ont gagné les têtes à défaut des urnes. Donc pour les partis, ils faut mettre du vert partout !», ironise Alexis Poulin, fondateur du média le Monde moderne, et spécialiste des questions européennes. «Les écologistes ne sont pas majoritaires mais leur idées le deviennent !», note de son côté Marine Calmet, chargée de plaidoyer à l’ONG de protection de l’environnement Nature Rights, également militante Europe Ecologie Les Verts (EELV).
Et sans surprise, toutes les listes ont verdi leur programme. «Tous les partis étudiés par notre ONG parlent du climat, un des sujets phares, qui fait consensus», explique Neil Makaroff, conseiller politique spécialiste des questions européennes auprès du Réseau Action Climat (RAC), qui fédère 22 associations telles que Greenpeace, les Amis de la terre, Bizi ou France nature environnement. La fédération a passé en revue les intentions environnementales des six listes principales : Les Républicains (LR), La République en marche (LREM), EELV, le Rassemblement national (RN), La France insoumise (LFI) et Place publique/Parti socialiste (PS).
Pour Marine Calmet, l’attente des sympathisants de l’écologie est grande car le fonctionnement européen amène un jeu d’alliances «parfois contre-nature avec des consensus transpartisans qui permettent d'aboutir», faisant parfois triompher les propositions de partis très minoritaires. Toutefois, le parti historique écologiste, EELV, dont le programme est logiquement très complet, le plus «détaillé» et le plus «chiffré» selon Neil Makaroff, ne caracole pas en tête des sondages, puisqu'il est crédité en moyenne à 7,5 ou 8%. Comment expliquer cette relative désaffection face à un enjeu qui semble tant intéresser ?
«D’une part de nombreux EELV sont partis chez LREM, et ça a fait du tort aux Verts qui sont restés. Pour faire de l’écologie, il faut être révolutionnaire et ne pas tenter d’entrer dans le système. Et puis, il faut dire que les gens ne s’intéressent pas aux programmes, tout le monde s'en moque. De plus, il y a un désamour vis-à-vis de ce projet européen depuis le référendum de 2005», remarque Alexis Poulin. «Pour les élections européennes, une partie des votants ne cherchent qu’à se mobiliser contre Macron, pas à faire de l’écologie. Et il faut voir de quoi le tapis médiatique est fait, on parle d'immigration, de défense et d’emploi, mais jamais d’écologie dans les débats», note-t-il.
L’effet de manche vert de LREM
Cet intérêt des Français pour l'écologie amène son lot de surprises. Comme le verdissement aussi subit que spectaculaire d’une des listes les plus importantes, Renaissance, du parti présidentiel LREM. Un programme verdoyant bordé par une série d’annonces fracassantes d’Emmanuel Macron en faveur de la biodiversité. Le programme brandit fièrement cet impératif : «Faire de l’Europe une puissance verte», alors que les mesures prises pour la France en matière d’environnement depuis l’entrée en fonction d’Emmanuel Macron n’induisent presque toutes que des reculs, à l’exception de l’abandon de l’épineux chantier de Notre-Dame des Landes et d’une promesse, qui ne sera finalement pas tenue à 100%, d’abandonner le glyphosate d’ici 3 ans.
Dans un mouvement qui rappelle le placement d’un Nicolas Hulot en numéro 2 du gouvernement après les élections de 2017, Pascal Canfin, ancien directeur du WWF et également anciennement Vert, joue l’écologiste utile qui talonne Nathalie Loiseau la tête de liste.
«Pourquoi Pascal Canfin refuse-t-il de devenir ministre mais accepte de figurer sur la liste européenne ? Peut-être espère-t-il faire davantage bouger les choses par le biais européen ? Mais ce gouvernement est, au niveau national, à rebours de toutes les problématiques qu’il voudrait se fixer pour les élections européennes», estime Marine Calmet de Nature Rights.
Les propositions de la liste Renaissance ont de quoi intriguer. Si l'on excepte les mesures visant à accorder «au moins 1 000 milliards d’euros» d’ici 2024 pour la transition écologique, elle propose par exemple de supprimer le broyage des poussins… une mesure rejetée par la majorité lors des Etats généraux de l’alimentation en octobre 2018, en même temps que d’autres propositions liées au bien-être animal, que l’on retrouve étonnamment au menu du programme Renaissance. D'autres incohérences sont au rendez-vous, comme par exemple la sortie du glyphosate en 2021, contredite par Emmanuel Macron lui-même, et la promesse a priori irréalisable d'une division par deux des pesticides d’ici 2025.
«On peut lancer en l'air plein de bonnes idées, mais ça reste des effets de manche électoraliste», estime Marine Calmet. «La France n’atteint pas les objectifs de l’accord de Paris. Les associations comme les nôtres qui se battent contre Total et le projet de la Montagne d’or ont envie de dire : "Regardez la poutre que vous avez dans l’œil avant de parler des mesures dans l’Union européenne !», raille-t-elle.
«Pour LREM, on peut constater quelques écarts entre leurs intentions sur la scène européenne et ce qu’ils ont fait en France. Certaines questions centrales pour l’environnement sont évacuées au niveau national. Par exemple, on ne parle pas de la fin de la voiture à essence dans la prochaine loi de mobilité, alors que c’est abordé dans le programme européen. Même chose pour la taxation des avions», remarque Neil Makaroff, du Réseau Action Climat.
Européennes : les thématiques environnementales qui mettent tout le monde d’accord et celles qui divisent
Opportunistes ou ancrées dans l'histoire du parti, quelques thématiques communes se retrouvent chez les six listes. «Il existe un consensus sur le fait qu’il faut investir davantage dans la transition écologique. Certains proposent une banque européenne pour le climat comme place Publique et LREM, d’autres ne détaillent pas vraiment comment ils comptent la financer», explique Neil Makaroff. Place publique et EELV suggèrent en outre de ponctionner le budget européen, à raison de 100 milliards par an. EELV recommande d'y «dédier au moins 50% du budget européen, contre 25% aujourd'hui». LR souhaite «des prêts à taux zéro de la Banque européenne d'investissement aux Etats membres, aux collectivités, aux entreprises et aux particuliers».
Une autre proposition semble faire consensus : celle d’une taxation écologique aux frontières de l’union. «Mettre en place une taxe carbone aux frontières, sans dérogation, pour favoriser les productions écologiques et de proximité stoppant ainsi le déménagement du monde», note par exemple LFI. «Instaurer une "barrière écologique", grâce à la mise en œuvre de droits de douane anti-pollution sur les produits importés de pays qui ne respectent pas nos normes environnementales ou sociales», propose la liste LR.
La taxation des pollutions notamment du secteur aérien est présente chez les quatre listes du centre et de la gauche. «Garantir un air pur en taxant le transport aérien», écrit par exemple LREM dans son programme. «C’est un grand sujet de débat européen : se rabattre sur les grands pollueurs plutôt que de taxer les citoyens, et réanimer le principe du pollueur payeur. LR a écrit clairement qu’il refusait toute taxation supplémentaire sur les ménages et les industries, et le RN n’en parle pas du tout», analyse Neil Makaroff.
Sur la question du nucléaire, les avis divergent. EELV et LFI sont pour son bannissement d'ici 2050, tandis que les autres partis souhaitent la conserver. Place publique-Parti socialiste par exemple veut conserver une filière nucléaire «sécurisée et renouvelée»
Le conseiller politique du RAC estime que certaines intentions sont crédibles car elles entrent dans le cadre de négociation actuelles de l’Union européenne : «EELV et LFI veulent refuser l’importation de produits qui contribuent à la déforestation, l’idée est aussi présente chez LREM à la marge». LFI note en effet : «Interdire l’importation des produits issus de la déforestation.» Les quatre partis du centre et de gauche évoquent également la question du plastique.
Neil Makaroff note cependant en guise de conclusion que «globalement les programmes sont assez vagues. Celui d'EELV est assez détaillé avec des chiffres mais les autres le sont bien moins. Plusieurs listes parlent de la "Banque européenne du climat", mais on ne sait pas ce qu’il y a derrière. On trouve de bonnes idées sur le long terme, mais pas forcément crédible à court terme». Il estime que LR se révèle très faible sur l'environnement et le climat et ne proposent qu'un «Haut-Commissaire européen pour le climat et la biodiversité», mais sans mesure concrète et structurante. Selon lui, le RN est le programme le plus faible sur les questions d’écologie, qui n’est abordé qu’à l’aune du «localisme». En témoigne le préambule du programme «la véritable écologie consiste à produire et consommer au plus près et retraiter sur place.» «Or vu la masse critique des populations de l'Union, il serait beaucoup plus fructueux d’agir au niveau européen plutôt qu’au niveau national», estime Neil Makaroff.
Le passé comme détecteur de mensonges
A l’heure du verdissement généralisé des programmes, un outil permet d’attester de la crédibilité des partis : ce qu’ont voté leurs députés européens sur les thématiques environnementales ces dernières années. A ce niveau, les diverses observations vont tous dans le même sens, pour les partis existants : à part si elles comportent une dimension protectionniste, LR et le RN votent avec un certain systématisme contre les mesures environnementales : contre la limitation du renouvellement du glyphosate, contre l’interdiction de la pêche électrique. Les graphiques rendus par différentes ONG sont à cet égard édifiants.
Pour Alexis Poulin, ce constat n’a rien d’étonnant. «Il y aura une vague nationaliste aux élections, c’est sûr, et eux n’en ont rien à faire de l’écologie. Ce sont les députés préférés des lobbyistes : ils ont toujours voté ce qu’on leur demandait.»
Ces visuels publié par Bloom, l'ONG de protection des océans a classé les députés européens en fonction de leurs votes pour empêcher la surpêche et la pêche destructrice. Les résultats ? Un carton pour José Bové, même pas la moyenne pour Jean Arthuis (LREM), des bonnets d'âne pour Michèle Alliot Marie (LR), pour Florian Philippot (Les patriotes, ex RN) ou Nicolas Bay (RN).
Selon le RAC, les bons élèves en matière d’écologie chez les députés européens sont logiquement EELV, dont c’est évidemment l’enjeu principal. Mais LFI ou le PS et Generation.S se positionnent à leur niveau sur plusieurs thématiques. Deux exemples illustrent les positions respectives, sur la stratégie climatique européenne et sur la protection des forêts, avec la comparaison de l’action du gouvernement dans le domaine, qui n’a pas de députés européens LREM.
Le bilan total accorde la meilleure note au Parti socialiste, Génération.S et le Parti radical de gauche qui coiffent EELV de peu, tandis que le fond du classement échoit à LR.
Alexis Poulin se montre plutôt finalement pessimiste : «On ne fait rien pour contraindre les industriels à cesser de produire des choses mauvaises, des plastiques. On a une profusion d'emballages et on fait une petit loi pour les cotons-tiges et les pailles !», s'insurge-t-il. «Les pétroliers planifient la croissance sur la plasturgie, et l'Europe est tenue par les lobbies. On veut faire de l'écologie, mais on ne peut pas embêter Bayer, Mercedes et Total. L'écologie, de toute façon, ne peut pas aller vite dans le cadre de la société de marché proposé par les traités européens.», conclut-il.
Marine Calmet se montre davantage optimiste au regard des victoires arrachées par les écologistes ces dernières années au Parlement européen. «Les associations font remonter les solutions et des propositions depuis des années, et l'écologie est un levier majeur pour faire changer les choses. L'Union européenne peut montrer plus de souplesse pour avancer plus vite, face à la lenteur des Etats», juge-t-elle.