France

Le retour des grenades GM2L en manifestations signe-t-il un durcissement du maintien de l'ordre ?

La grenade GM2L à effet combiné (assourdissant et lacrymogène) avait été présentée comme une arme moins vulnérante que la GLI-F4, retirée de la dotation. Mais son usage dans les dernières manifestations provoque déjà des accidents graves.

L'utilisation de la grenade GM2L à Paris le 5 décembre signe-t-elle un retour à davantage de fermeté de la part de la préfecture de police de Paris ? Pour mémoire, cette grenade à effet combiné (lacrymogène pulvérulent, très forte détonation et un effet de souffle) s'était déjà distinguée par sa dangerosité lors de l'opération de maintien de l'ordre du 28 janvier 2020 quand les pompiers avaient manifesté leur colère à Paris.

Lorsque la grenade GLI-F4 a été retirée de l'arsenal policier pour la voie publique ainsi que l'annonçait l'ancien ministre de l'Intérieur, Christophe Castaner en janvier 2020, la GM2L faisait figure de remplaçante, même si ces deux armes classées A2 dans le code de sécurité intérieure (comme les canons et les obus) étaient en réalité dotées en même temps au sein des forces en 2019.

Les deux grenades étaient fabriquées par la société Alsetex, mais ne contiennent pas le même explosif : la GLI-F4 contenait de la TNT et la GM2L du C4... dans ce cas, le fabricant préfère d'ailleurs parler d'«agent pyrotechnique» que d'«explosif» qui soulignerait ainsi l'absence d'effet de souffle de cette grenade.

Mais à en croire le général de gendarmerie, Bertrand Cavallier, interrogé à ce sujet par L'Essor dès septembre 2018, il n'y aurait pas grande différence : «S’agissant de la GM2L, retenons quelques données simples à comprendre. Dès lors qu’une munition produit une forte intensité sonore, celle-ci est associée à un phénomène de souffle, c’est à dire de compression de l’air. Il en ressort des risques de lésions auditives pour ceux qui sont à proximité immédiate de la munition lors de sa détonation/déflagration. Par ailleurs, toute composition pyrotechnique peut causer des lésions cutanées, musculaires, osseuses… Il en va de même pour cette nouvelle grenade.»

A ce titre il est d'ailleurs édifiant de relever la raison invoquée par Christophe Castaner le 26 janvier pour retirer la GLI-F4 de la dotation des policiers et des gendarmes (alors qu'Alsetex n'en fabriquait plus depuis plusieurs années) : «J'ai pris cette décision parce qu'elles n'ont pas une couleur, elles n'ont pas un signalement spécifique et il est arrivé, il y a plusieurs mois déjà, pas récemment, que des policiers soient obligés de les utiliser pour se désengager d'une menace et que des manifestants les prenant volontairement en main se blessent gravement. C'est la raison pour laquelle je pense qu'il nous faut retirer les GLI-F4.»

Marche des libertés à Paris : un manifestant perd cinq doigts

En l'espèce, le 5 décembre à Paris, selon les informations du Figaroun manifestant a perdu cinq doigts après avoir ramassé une grenade au sol, sans qu'il ait été précisé de quelle grenade il s'agissait. On peut toutefois présumer qu'il s'agissait d'une GM2L, car plusieurs journalistes, dont un reporter de RT France, présents sur le terrain ont pu entendre les détonations assourdissantes qu'elles produisaient en fin de journée alors que la situation restait très tendue avec des incendies de véhicules notamment.

Sur les réseaux sociaux, le journaliste indépendant Julien Moreau a par ailleurs publié des photos montrant des éclats de grenades GM2L au sol. Contacté par RT France, ce dernier a expliqué que ces photos avaient été prises en fin de manifestation sur la place de la République. 

C'est  au cours de cet épisode que le journaliste indépendant Amar Taoualit semble avoir été touché à la jambe par ce qu'il a d'abord pris pour une grenade de désencerclement avant de se raviser et d'estimer qu'il s'agissait en réalité d'une GM2L.

La blessure du journaliste fait penser à celle qui avait été infligée au photographe Mohamed Taha le 28 janvier lors de l'opération de maintien de l'ordre encadrant la colère des pompiers le 28 janvier.

Ce dernier avait alors publié sur Twitter un scanner de sa jambe dans laquelle on distinguait clairement une pièce projetée par une grenade GM2L. Un journaliste de RT France, ce jour-là, avait également eu la chance de s'en tirer avec une simple contusion à l'entrejambe après avoir vu son pantalon traversé net par une pièce similaire (le dispositif retard de la grenade est une pièce métallique emballée dans du polymère).

Problème principal : cette grenade ne devrait pas se comporter comme du shrapnel sur la voie publique et les pièces métalliques devraient rester au sol lorsque survient l'«effet pyrotechnique»... C'est-à-dire l'explosion de l'objet.

Interrogé par RT France en février 2020, un formateur de la police, Thierry Launois, pointait plusieurs problèmes vis-à-vis de la GM2L : premièrement, certains policiers avaient été formés à l'utilisation de cette grenade en utilisant des GLI-F4 pour terminer les stocks. Ensuite, son dispositif retard lui semblait trop long et exposait, selon lui, l'opérateur à voir la grenade revenir dans l'autre sens avant d'exploser.

Dès lors que les autorités responsables de la dotation et de l'usage de cette arme en maintien de l'ordre sont informées de la dangerosité réelle de la grenade GM2L, c'est-à-dire qu'elle ne produit pas l'effet escompté et pourrait également blesser un fonctionnaire de police, un passant, un manifestant pacifique ou un journaliste, on peut donc s'interroger : la volonté de ressortir la grenade GM2L en manifestation est-elle corrélée à un durcissement de la répression des manifestations contre la proposition de loi Sécurité globale ?

Antoine Boitel