France

Terrorisme, continuum de sécurité, police du quotidien : les polices municipales en première ligne ?

Les polices municipales prennent de l'ampleur et les maires les équipent d'armes létales de façon croissante. Alors que le parti présidentiel s'apprête à proposer de passer à la vitesse supérieure, d'autres s'inquiètent d'une fuite du régalien.

Le 12 octobre, le Premier ministre Jean Castex évoquait le sujet des polices municipales en se prononçant en faveur d'un renforcement de leurs prérogatives et de leur armement. Quatre jours plus tard, ce sont justement des policiers municipaux qui se sont trouvés face à face avec le terroriste islamiste de Conflans-Sainte-Honorine (Yvelines) alors qu'il venait de décapiter le professeur Samuel Paty.

Toujours en possession d'une arme blanche et d'une arme à feu qui s'est avérée factice, Abdouallakh Anzorov n'était pas porteur d'un dispositif explosif. Mais, confrontés à un dangereux terroriste qui avait décapité un enseignant, les policiers municipaux ne pouvaient le savoir. Quoi qu'il en soit, eux ne portaient pas d'armes létales puisque leurs effectifs n'en sont pas dotés dans cette ville réputée tranquille.

Bien que primo-intervenants et ayant repéré l'assaillant, ils ont donc dû se replier et attendre le groupe de sécurité de proximité (GSP) de la police nationale d'Eragny (Val-d'Oise) qui a abattu le terroriste de neuf balles.

Comme lors de l'attaque à la voiture-bélier contre des motocyclistes de la police nationale à Colombes (Hauts-de-Seine) le 27 avril, les policiers municipaux se sont trouvés en première ligne d'une attaque délibérée, qualifiée de «low cost» par les experts en sécurité à l'instar du policier national Noam Anouar, passé par deux services de renseignement.

La PPL Fauvergue-Thourot, nouvelle pierre angulaire du continuum de sécurité

Les polices municipales primo-intervenantes : ce phénomène pourrait être amené à se reproduire à l'avenir tant l'accent est progressivement mis sur le rôle central de cette troisième force de sécurité du pays.

Ainsi, le rapport intitulé «D'un continuum de sécurité vers une sécurité globale» rendu public en septembre 2018 par les députés marcheurs Jean-Michel Fauvergue et Alice Thourot faisait la part belle aux agents municipaux. Ce rapport a préfiguré une proposition de loi (PPL) des mêmes députés déposée à l'Assemblée en janvier 2020, enregistrée une nouvelle fois le 20 octobre. Le gouvernement mise visiblement beaucoup sur cette nouvelle version de la PPL «relative à la sécurité globale», qui aborde dans son titre premier les questions des prérogatives des polices municipales avant d'enchaîner sur celles des sociétés de sécurité privées.

Septembre 2018 : alors que la crise sociale des Gilets jaunes n'avait pas commencé, mais que l'affaire Benalla battait son plein, et seulement un mois avant le départ de Gérard Collomb de la place Beauvau, le député Fauvergue, ancien patron du Raid, rendait ce rapport qui annonçait la couleur : «Trente ans après le début de leur montée en puissance, les polices municipales sont désormais des acteurs reconnus et appréciés sur le terrain. Les policiers et les gendarmes nationaux les considèrent comme de vrais partenaires, dont le professionnalisme est attesté. En outre, elles s’appuient souvent sur des équipements modernes qui symbolisent la volonté des élus d’investir dans leurs attributions en matière de sécurité. Véritables forces de proximité, les polices municipales assurent des fonctions de médiation et se révèlent de fins connaisseurs de leur territoire. Enfin, les débats passés, portant notamment sur la faculté d’armer les policiers municipaux, apparaissent désormais révolus tant ces derniers sont maintenant intégrés aux paysage institutionnel.»

A l'article premier de la proposition de loi déposée en octobre 2020, il est inscrit : «A titre expérimental, les communes employant au moins vingt agents de police municipale dont au moins un directeur de police municipale ou un chef de service de police municipale peuvent, pour une durée de trois ans à compter de l’entrée en vigueur des mesures d’application prévues au présent article, demander à ce que leurs agents de police municipale exercent les compétences de police judiciaire mentionnées aux II à VI du présent article.»

La police nationale se retire-t-elle au profit des municipales ?

Les polices municipales enfin intégrées au continuum de sécurité, avec les moyens de faire un travail de police similaire à celui des policiers nationaux, sans recours systématique à l'officier de police judiciaire ? C'est le sens de la PPL Fauvergue-Thourot : une partie du travail de police, jugé ingrat par les fonctionnaires nationaux (tapage, contrôle des débits de boissons, ivresse publique et de dépôts sauvages) pourrait revenir aux municipaux de la fonction territoriale. Par ailleurs, à la faveur de la disparition des fameuses «polprox» en 2003, la police de proximité a petit à petit été réalisée par les policiers municipaux. 

Interrogé par RT France, le président national du Syndicat national des polices municipales, Yves Bergerat, confie : «Nous sommes vraiment une police de proximité. Dans mon secteur, je connaissais les commerçants, les habitants, tout le monde. Mon rôle n'était pas vu comme répressif par les riverains. Parfois on nous consulte même pour des choses qui n'ont rien à voir avec la sécurité.»

Mais le syndicaliste souligne également : «En police municipale, nous sommes également préoccupés par cette montée de la violence. J'ai fait un peu tous les postes au cours de ma carrière et déjà avant les années 2000 on m'avait tiré dessus et essayé de m'écraser deux fois à Nice en seulement deux ans.»

Si j'étais à la place des collègues de Conflans, j'aurais la rage

Un climat qui n'a cessé de se détériorer, à en croire le militant syndical, qui souligne qu'à peine plus d'un policier municipal sur deux est doté d'une arme létale pour répliquer à un tir d'arme à feu. Dans un récent rapport publié le 20 octobre, la Cour des comptes exhorte l'Etat à encadrer l'essor croissant de ces polices qui rendent compte aux maires et précise qu'en 2018, 53% des 33 000 agents municipaux disposaient d'armes à feu. 81% étaient armés (bâton de défense, pistolet à impulsion électrique, gazeuse etc.).

«[Les policiers municipaux] doivent sans cesse rendre compte à la police nationale ou à la gendarmerie pour presque tout»

Selon Yves Bergerat, ses confrères sont en réalité près de 60% à disposer d'armes létales à l'heure actuelle... Mais c'est trop peu pour les professionnels contactés, qui estiment que les policiers municipaux ont une «cible dans le dos», au même titre que les policiers nationaux. C'est notamment l'avis de Christelle Teixeira, présidente de l'association Uniformes en danger. Interrogée par RT France, elle explique avoir écrit un courrier au maire de Conflans-Sainte-Honorine pour qu'il équipe sa police municipale d'armes létales : «Pour moi, c'est comme de la non-assistance à personne en danger de ne pas équiper correctement sa police municipale. Il faut remettre les choses à l'endroit et lier toutes les forces en les logeant à la même enseigne. A Conflans, le terroriste aurait pu faire un carnage plus important encore, à commencer par les policiers municipaux... Si j'étais à la place de ces collègues, j'aurais la rage.»

Même son de cloche pour le président national du SNPM : «Je n'arrive pas à comprendre qu'il y ait encore des maires qui pensent que la police municipale ne doit pas être armée, ils ne vivent pas dans le même monde que nous, on dirait. La tenue implique qu'il faut défendre les citoyens sur la voie publique, mais nous ne pouvons même pas nous défendre nous-mêmes si nous ne sommes pas armés. Nous encourrons les mêmes risques que les autres forces de sécurité et nous sommes très souvent primo-intervenants.»

Par ailleurs, Christelle Teixeira, ainsi qu'Yves Bergerat plaident pour une meilleure prise en compte des retraites des policiers municipaux : «C'est fini le garde-champêtre !», souligne la première, qui argumente : «Les policiers municipaux sont formés et bien entraînés à présent, ils assument toutes sortes de mission mais doivent sans cesse rendre compte à la police nationale ou à la gendarmerie pour presque tout. Il faut un statut équivalent et notamment pour les agents de surveillance de voie publique (ASVP) qui font souvent du travail de police municipale alors qu'ils sont contractuels... et il faudrait aussi compter les primes dans les retraites. Le policier municipal se retrouve avec un SMIC en pension quand il cesse son activité.»

Qu'adviendra-t-il de la proposition de loi Fauvergue-Thourot après les débats à l'Assemblée nationale ? En tout état de cause, elle devrait permettre d'acter la création d'une police municipale sans arme létale à Paris, mais la Cour des comptes prévient d'ores et déjà que si cette croissance de la police municipale «se fait au bénéfice de la sécurité de la population, [elle] risque d'alimenter la dépendance, déjà existante, des forces de sécurité de l'Etat envers des services dont ils ne maîtrisent ni la création, ni l'activité.»

Une fuite du régalien vers des sous-ensembles territoriaux ? C'est précisément ce que craint l'ancien commandant de police, Jean-Pierre Colombiès contacté par RT France : «C'est un autre type de société vers lequel on s'achemine, on parle de police, mais on tronque le sujet : si la police ne répond plus qu'au maire, quelle est l'impartialité devant le citoyen ? La police municipale doit être en soutien de la police nationale, sinon on change de société et on se dirige droit vers une américanisation... mais sans les moyens, qui dépendront quant à eux de la richesse de la commune !» Et de préciser : «Je connais des collègues en police nationale à Bordeaux qui sont bien attirés par les salaires de la police municipale, sans compter qu'il y a moins de pression !»

Yves Bergerat du SNPM rappelle pour sa part qu'il y a déjà eu neuf suicides en police municipale en 2020 et de nombreux blessés, notamment en lien avec l'application des mesures de confinement : «Nous ne voulons pas remplacer la police nationale ou la gendarmerie, mais nous attendons des textes précis qui vont assez loin pour tous les agents. Les maires se rendent compte progressivement que la société a changé. Nous ne voulons pas d'une version édulcorée du livre blanc et du rapport Fauvergue-Thourot.»

Antoine Boitel