Poursuivant en partie les travaux du sénateur Les Républicains de Moselle, François Grosdidier, qui avait alerté le gouvernement sur le manque de moyens accordés aux forces de sécurité intérieure en 2018 dans un rapport après la commission d'enquête à ce sujet, la commission des lois de la chambre haute du Parlement, présidée par Philippe Bas (LR), remet le couvert en entamant une mission d'information sur les moyens d’action et les méthodes d’intervention de la police et de la gendarmerie.
Les méthodes d'intervention et «l'actualité récente»
Dans un communiqué de presse, le Sénat annonce le 16 juin 2020 la création de cette mission dédiée aux moyens d'intervention des policiers et des gendarmes et explique le contexte : «L’actualité récente a suscité des contestations sur les conditions dans lesquelles, dans notre pays, les forces de police et de gendarmerie nationales sont contraintes d’utiliser certaines méthodes d’interpellation dans le cadre des opérations qu’elles conduisent dans l’exercice de leurs missions, en particulier sur la voie publique.»
Les sénateurs préviennent ensuite : «En toutes circonstances, ces méthodes d’interpellation doivent être proportionnées à la situation de trouble à l’ordre public ou à la commission d’infractions que la République a donné mission aux forces de sécurité intérieure de prévenir, ou auxquelles elles doivent mettre un terme.»
Mais le communiqué rappelle encore : «Elles doivent également, lorsque le recours à la force est nécessaire, éviter la mise en danger tant des personnes interpellées que des fonctionnaires qui sont chargés de faire respecter les lois de la République et d’empêcher les actes délictueux.»
La commission des lois estime également que «faute d’une mise à niveau des moyens matériels mis à la disposition de la police et de la gendarmerie au cours des années récentes», les forces de sécurité intérieures sont trop démunies par rapport aux risques encourus par les agents, malgré les avertissements du sénateur Grosdidier en 2018.
La commission des lois auditionnera donc le ministre de l'Intérieur, les directeurs généraux et les inspections générales concernant les formations et les écoles où sont formés les fonctionnaires de ces corps de métier.
Les représentants syndicaux de la police seront également auditionnés, ainsi que des institutions représentatives des militaires.
Les «visites aseptisées» des sénateurs sur le terrain ne convainquent pas tout le monde
La mission amènera aussi les sénateurs à se rendre dans les centres de formation pour évaluer les techniques enseignées.
Joint au téléphone par RT France, un policier formateur depuis plusieurs décennies a semblé dubitatif : «Le problème, je vais vous le dire : quand les élus viennent faire un tour dans nos centres de formation, le milieu est stérilisé autour, on ne peut même pas les approcher. Ils n'ont aucun vrai retour du terrain lors de ces visites. Les sénateurs, s'ils veulent voir comment ça se passe, qu'ils viennent équipés avec nous sur le terrain en anonymes. Comme dans Vis ma vie, vous voyez... Ils se feront copieusement insulter avec nous, comme ça arrive tous les jours. Là, au moins, ce ne sera pas du fictif.»
Et le formateur de désespérer sur la situation actuelle : «Le problème principal, c'est le fonctionnement même de l'administration : un patron de police voit sa prime augmenter lorsque ses gars sont sur le terrain ou quand ils font des formations au tir, mais l'exercice physique du fonctionnaire, le self-défense, la course à pied, les pompes, ça par contre, ça ne fait pas avancer les primes de résultat exceptionnelles. Donc ces entraînements ne sont pas privilégiés.»
Problème, la fameuse clef d'étranglement ou prise de cou figure effectivement parmi les techniques qui étaient enseignées dans ces cours de self-défense, des gestes qui ont été appris lors de la formation de police initiale, mais que dans certains cas, les fonctionnaires n'ont plus revues depuis, à en croire le formateur contacté.
Je l'ai beaucoup utilisée la clef, je l'ai même pratiquée sur Guy Georges
Pourtant selon l'ancien policier Nicolas Til, chef de brigade devenu major exceptionnel avant de prendre sa retraite et qui a surtout travaillé en police-secours, la prise de cou, technique controversée, s'avère très «utile» et très «courante» pour amener un individu récalcitrant au sol afin de pouvoir l'interpeller. Interrogé par RT France, il explique : «Bien sûr, on nous l'enseigne dans des conditions à l'école qui ne sont pas celles du terrain, c'est beaucoup plus dur à faire dans le monde réel, il faut déjà accéder à l'individu récalcitrant, mais c'est utile parce que les voyous, ils ne se laissent pas choper comme ça. Si le type a un tesson de bouteille ou un objet dans la main pour vous frapper, il faut déjà le déstabiliser avant de l'approcher et de l'amener au sol.»
Et le policier formateur interrogé en anonyme de compléter : «Et parfois, même après qu'on leur a passé les menottes, il faut encore les maîtriser pour les faire monter dans le véhicule.»
Nicolas Til explique encore : «Je l'ai beaucoup utilisée, la clef, je l'ai même pratiquée sur Guy Georges à la prison de la Santé quand je travaillais en compagnie de transfert, d'escorte et de protection. Le mec était à poil dans sa cellule, il ne voulait pas aller aux assises pour son procès ce jour-là, mais le président de la cour avait requis impérativement sa présence, de gré ou de force. Alors, comme il était récalcitrant, on l'a extrait de cette manière, sur ordre du magistrat. Ce sont parfois les moyens nécessaires, tels qu'on nous les a enseignés, ni plus ni moins. On amène le récalcitrant au sol, on le maîtrise et on lâche, c'est tout.»
Les sénateurs sauront-ils entendre les policiers de terrain et les formateurs lors de cette mission à huis-clos ? L'avenir le dira, même si le travail de la mission ne sera pas public. Seules les conclusions le seront... peut-être.
Antoine Boitel