Assa Traoré est-elle entrée dans le star-system ? Après les interrogations autour de la mort de George Floyd aux Etats-Unis, et les manifestations qui ont suivi, Assa Traoré a organisé une manifestation parisienne le 2 juin à Paris, en mémoire de son frère Adama, mort en 2016 après une interpellation par des gendarmes. Le 19 juillet de cette année, l'homme de 24 ans était décédé dans la caserne des gendarmes de Persan, près de deux heures après son arrestation musclée dans sa ville de Beaumont-sur-Oise (Val-d'Oise), au terme d'une course-poursuite.
Si la manifestation était interdite, 20 000 personnes s'y sont malgré tout rendues. Un rassemblement qui s'est rapidement transformée en une mobilisation contre les violences policières et un supposé racisme systémique.
Plusieurs personnalités ont décidé d'apporter un soutien public à Assa Traoré et sa lutte. Proche de celle-ci, la chanteuse Camelia Jordana a même chanté le 2 juin au milieu de la foule en faisant un parallèle entre la mort de George Floyd aux Etats-Unis et le décès d'Adama Traoré.
Le comédien Omar Sy a pour sa part multiplié les messages de soutien à Assa Traoré, en relayant également certaines de ses déclarations. «La France qui aime, la France qu'on aime», a-t-il notamment tweeté, en diffusant une vidéo du rassemblement du 2 juin.
L'acteur a d'ailleurs lancé une pétition en affirmant que «George Floyd et Adama Traoré avaient des points communs» : «Regardons devant nous, ayons le courage de dénoncer les violences policières qui sont commises en France. Engageons-nous à y remédier. Réveillons-nous.» Le texte a recueilli des signatures de célébrités comme les comédiens Aïssa Maïga, Marina Foïs, Leïla Bekhti, Adèle Haenel, Guillaume Canet, François Cluzet et des politiques comme Cécile Duflot ou Jean-Luc Mélenchon. Assa Traoré a également reçu des soutiens venant de la militante indigéniste Rokhaya Diallo, des écrivains Virginie Despentes (qui compare Assa Traoré à Antigone) et Edouard Louis.
En 2017, Yannick Noah, Eric Cantona, IAM, Black M ou encore Christine & the Queens avaient pour leur part signé un appel dans Libération réclamant justice pour Adama Traoré. «"C’est une affaire d’Etat", selon Assa Traoré, et nous sommes également convaincus que c’est toute notre société qui se salit, si elle se tait et détourne le regard. Et nous avec, si nous ne réagissons pas», écrivaient-ils alors.
Parmi les politiques, les soutiens d'Assa sont majoritairement de gauche. On pourrait citer, autre que le chef de file de La France insoumise (LFI), Jean-Luc Mélenchon, le député LFI Eric Coquerel, la sénatrice d'Europe Ecologie Les Verts (EELV) Esther Benbassa.
La députée du parti communiste Elsa Faucillon et l'Insoumise Clémentine Autain ont elles pris la plume pour défendre Assa Traoré, et élargir le débat : «Racisme endémique, violences policières, héritage colonial, islamophobie sont des questions fondamentales que soulèvent pas à pas ces mouvements pour la vérité et la justice car ce sont des réalités vécues que notre pays enfouit.» Autre soutien, l'ancien ministre de la Justice Christiane Taubira (Parti radical de gauche) a déclaré le 9 juin pour Quotidien (TMC), à l'attention d'Assa Traoré : «Vous êtes notre chance, vous êtes aussi une chance pour la France, nous avons la chance de vous avoir.»
Politiquement, Assa Traoré représente désormais un poids non négligeable en France. Si bien que les manifestations interdites organisées par ses soins et le collectif «La vérité pour Adama» ne recevront aucune sanction, selon le ministre de l'Intérieur Christophe Castaner, qui a estimé, le 9 juin que «l'émotion mondiale, qui est une émotion saine sur ce sujet, dépasse au fond les règles juridiques qui s'appliquent». Une rhétorique à même de faire sauter de sa chaise le moindre juriste respectueux de la hiérarchie des normes.
Assa Traoré et le collectif «La vérité pour Adama», champions de la com' ?
Dernier exemple en date : lorsqu'Assa Traoré interpelle Emmanuel Macron le 8 juin dans l'Obs, l'appelant «à répondre enfin aux demandes de justice et de vérité que ma famille et d’autres avant nous ne cessons de réclamer», son influence est telle que le président de la République a lui-même demandé à Nicole Belloubet, ministre de la Justice, de se pencher sur l'affaire Traoré.
La garde des Sceaux a alors proposé le 8 juin à Assa Traoré de la rencontrer. Mais celle-ci a annoncé le lendemain, lors d'une conférence de presse, son refus : «Nous refusons le rendez-vous avec la ministre de la Justice [...] Si elle veut rencontrer quelqu'un, c'est le procureur, si quelqu'un doit être convoqué ce sont les gendarmes.»
Elle a précisé comme un pied de nez au pouvoir que sa famille ne demandait pas «que des discussions se fassent dans un salon de thé de l'Elysée, on demande que des actes de justice soient faits». Dans la foulée, elle a appelé à une mobilisation nationale dans la «rue» le 13 juin.
«Nous demandons à ce que la police française soit réformée», a encore ajouté Assa Traoré, et que l'IGPN (Inspection générale de la police nationale) et l'IGGN (Inspection générale de la gendarmerie nationale) soient dissoutes pour être remplacées par des «corps extérieurs».
Devenue une personnalité médiatique, la sœur d'Adama Traoré n'hésite pas à rabrouer sèchement ses interlocuteurs. Toujours sur Quotidien, le 9 juin, elle s'est permis d'affronter une journaliste sur le plateau qui avait osé contredire un de ses propos qui sous-entendait que la France récompensait par des médailles les gendarmes qui étaient mis en cause dans la mort d'Adama Traoré. Loin d'en démordre Assa Traoré lui a rétorqué : «Madame Salhia [Brakhlia], vous avez dit que les gendarmes n'ont pas été récompensés, vous avez eu tort [...] si vous aviez fait votre travail correctement, ou cherché les informations nécessaires, Arnaud Gonzales [un des gendarmes mis en cause] a eu une promotion [...] et quand on a Cazeneuve et Le Roux [deux anciens ministres], qui vont récompenser, saluer les gendarmes mis en cause dans la mort d'Adama Traoré...» Salhia Brakhlia s'est défendue, martelant que les gendarmes en cause n'avaient pas été récompensés par des médailles.
Assa Traoré a derrière elle un collectif, toujours prêt, et visiblement bien financé. Dernière action coup de poing avant le rassemblement du 13 juin, «La vérité pour Adama» a ainsi décidé de porter plainte pour diffamation – une procédure coûteuse – contre des élus du Rassemblement national, Marine Le Pen et Julien Odoul, et deux vedettes du petit écran, les journalistes Jean-Jacques Bourdin et Nicolas Poincaré. Marion Maréchal est également visée par une plainte du clan Traoré après sa récente sortie médiatique. Ceux-ci auraient été coupables d'avoir diffamé Adama Traoré, «à qui ils ont attribué des faits de viol pour lesquels il n'a pourtant jamais été poursuivi et pour diffamation à l'encontre d'Assa Traore qu'ils accusent d'avoir exercé des pressions contre une victime pour qu'elle retire sa plainte». Selon une information publiée dans L'Express en mars 2014 et confirmée sur RMC par Nicolas Poincaré le 10 juin 2020, Adama Traoré était visé par une plainte pour viol commis sur l'un de ses co-détenus à la prison d'Osny. Ces derniers jours, plusieurs personnalités ont mis en avant le pedigree peu amène de la famille Traoré - un des frère, Bagui, ayant par exemple été condamné pour trafic de drogues et extorsion violente.
La sœur d'Adama Traoré va-t-elle continuer à être la figure de proue des manifestants «Black lives matter» ? Réponse le 13 juin, journée lors de laquelle le comité Adama a appelé à une nouvelle mobilisation à Paris, prévue entre la Place de La République et l’Opéra.