Créé fin 2019, le Conseil de déontologie journalistique et de médiation (CDJM) controversé a rendu le 19 mai ses trois premiers avis. Si dans deux cas il a considéré les saisines comme étant infondées, une affaire a retenu son attention : l'interview diffusée le 17 février sur BFMTV de Juan Branco, avocat de l'activiste russe Piotr Pavlensky, menée par la journaliste Apolline de Malherbe.
Selon le Conseil, l’ensemble de l’entretien témoigne ainsi «d’une partialité envers l’interviewé qui dépasse la liberté d’investigation journalistique». Et l'organisme de pointer du doigt la dernière phrase prononcée par Apolline de Malherbe, «plus on vous entend et plus on se demande si Piotr Pavlensky n’est pas que l’exécutant et vous le manipulateur.» Une sortie qui d'après le CDJM «ne respecte pas les règles déontologiques concernant les accusations sans preuve et le défaut d’offre de réplique».
Le CDJM souligne par ailleurs dans sa décision que «la sélection des faits invoqués par la journaliste, sa manière de poser des questions, le choix des termes qu’elle utilise ("instigateur", "manipulateur"...), sa propension à impliquer à tout prix l’avocat dans la commission des faits reprochés à son client contredisent l’exigence d’impartialité».
Informée le 10 mars des 23 saisines enregistrées par le CDJM concernant cet entretien, BFMTV n’a pas répondu au Conseil, et n'a donc pas présenté sa position.
Le CDJM ne fait pas consensus auprès de la profession
L'avocat Juan Branco était, un temps durant, en charge de la défense de l'activiste russe Piotr Pavlensky, qui a revendiqué la diffusion de vidéos à caractère sexuel, dont la publication avait poussé Benjamin Griveaux à renoncer à sa candidature à la mairie de Paris. Juan Branco a toujours démenti tout rôle dans la divulgation de ces vidéos pornographiques.
L'interview qu'il avait accordée à BFMTV le 17 février avait suscité de nombreuses réactions en raison du ton employé par la journaliste à son encontre. Juan Branco avait dans la foulée annoncé avoir saisi le CSA, reprochant à Apolline de Malherbe de l'avoir accusé «d’être derrière cette affaire sans aucun élément de preuve» et de ne pas lui avoir laissé l'opportunité de se défendre en fin d'entretien.
Un entretien qui est donc le premier dont les saisines ont été déclarées «partiellement fondées» par le CDJM, qui a indiqué en avoir reçu 63 depuis le début de l'année, au sujet de 31 articles ou émissions. Reprenant une idée du gouvernement macronien, le Conseil de déontologie journalistique et de médiation a été officiellement lancé le 2 décembre 2019 avec son assemblée générale fondatrice. Fondé sur le modèle d'institutions semblables en Europe, il réunit des représentants de la profession, une poignée de médias, des écoles de journalisme et des associations de lecteurs, avec pour objectif de faire face à la défiance grandissante des citoyens envers les médias.
Sa création même est toutefois loin de faire consensus au sein de la profession. A l'instar de l'AFP, France Inter, TF1, Europe 1, Le Figaro ou encore Mediapart, 19 sociétés de journalistes et de rédacteurs avaient expliqué dans un communiqué publié le 29 novembre dernier pourquoi elles refusaient d'y participer. «Le pire service à rendre aux médias aujourd’hui serait de les contraindre à se plier à une norme artificielle de déontologie. Ce sont les lecteurs qui jugent les journalistes, pas les journalistes qui se jugent entre eux», écrivaient-elles ainsi, soulignant que la manière dont s'était crée le CDJM ne leur «[inspirait] pas confiance».