France

Covid-19 : enseignants et élèves sont-ils tenus de ne pas critiquer le gouvernement en classe ?

Des fiches de l'Education nationale à destination des enseignants leur conseillaient de signaler tous «propos inacceptables» d'élèves et de se référer à l'autorité de l'Etat, sans discussion polémique. Face au tollé, elles ont depuis été modifiées.

Le ministère de l’Education nationale a publié le 4 mai sur son site des recommandations destinées à aider les professeurs à préparer cette rentrée post-confinement. Plusieurs d'entre elles ont provoqué un tollé, particulièrement celles demandant aux enseignants de ficher «les enfants qui tiennent des propos inacceptables». A tel point que le gouvernement a depuis fait machine arrière, modifiant les paragraphes les plus contestés.

Avant un tel revirement, dans l'une de ces fiches Eduscol, intitulée «Ecouter la parole des élèves en retour de confinement Covid-19», massivement relayée sur internet, il était ainsi énoncé : «Des enfants peuvent tenir des propos manifestement inacceptables. La référence à l'autorité de l'Etat pour permettre la protection de chaque citoyen doit alors être évoquée, sans entrer en discussion polémique. Les parents seront alertés et reçus par l'enseignant, le cas échéant accompagné d'un collègue, et la situation rapportée aux autorités de l'école.»

Sacha Mokritzky, auteur et responsable d'une section du Parti de gauche, avait lancé l'alerte sur Twitter, dévoilant ce texte qu'aurait reçu sa mère enseignante : «Je traduis : "Si l'un de vos élèves critique la gestion gouvernementale, rappelez-lui à coups de punitions à quel point nous avons été formidables."» 

Interviewée par France info, la secrétaire générale du Snuipp-FSU (premier syndicat du primaire) Francette Popineau estimait pour sa part qu'avec cette fiche, l'Education nationale demandait aux professeurs «de ne pas remettre en cause la gestion de la crise». Sur les ondes de la même radio, Frédérique Rolet, secrétaire nationale et porte-parole du Snes-FSU, syndicat national des enseignements du second degré, estimait que «le problème de ces fiches, c'est qu'elles sont de nature très différentes. Et certaines posent problème idéologiquement». «On a l'impression que toute forme de critique est interdite», ajoutait-elle.

Côté politique, le député et président de Debout la France Nicolas Dupont-Aignan s'était interrogé le 12 mai : «Jusqu'où ira le gouvernement !? Des "fiches pédagogiques" du ministère de l'Education invitent les enseignants à signaler les enfants tenant des "propos manifestement inacceptables". Les syndicats s'inquiètent : "on nous demande de ne pas remettre en cause la gestion de la crise".»

Contactée par France info, l'Education nationale avait tenté de rassurer le monde enseignant : «Les propos inacceptables [peuvent être de] plusieurs natures [comme ceux] manifestant le refus des gestes barrières [ou encore] relayant des théories complotistes». Et le média de préciser qu'il n'avait pas obtenu d'éclaircissements sur la formulation «mentionnant la possibilité d'évoquer "l'autorité de l'Etat [...] sans entrer en discussion polémique"».

Pour le gouvernement, «bâtir une société de la confiance», est-ce interdire toute critique du pouvoir ?

D'autre part, une deuxième fiche fait elle aussi polémique. Baptisée «Coronavirus et risques de replis communautaristes», cette fiche a interpellé le corps enseignant dès le premier paragraphe. Elle les mettait en garde contre le fait que «la crise du Covid-19 [pouvait] être utilisée par certains pour démontrer l'incapacité des Etats à protéger la population et tenter de déstabiliser les individus fragilisés». En fin de deuxième paragraphe, la fiche sensibilise notamment les enseignants sur les discours qui pourraient apparaître comme «une fronde contre les mesures gouvernementales». Il est ajouté que «plus que jamais, nous avons besoin de bâtir une société de la confiance», avec l'objectif «d'offrir aux élèves un chemin vers une socialisation positive».

Précisons que ces fiches ne sont que des recommandations et n'obligent donc pas les enseignants à les respecter à la lettre. Malgré tout, elles traduisent une impulsion du ministère. Entre l'adoption de la controversée loi Avia, qui donne mandat aux plateformes numériques privées de censurer certains contenus, et ces préconisations du ministère de l'Education nationale post-confinement, les prises de position du gouvernement ne manquent pas d'interpeller.