France

«Contenus haineux sur internet» : le Parlement adopte définitivement la controversée loi Avia

Les députés ont adopté ce 13 mai, en ultime lecture, la proposition de loi controversée de lutte contre la haine sur internet. Un texte accusé par ses détracteurs de menacer la liberté d'expression et d’accroître les pouvoirs des géants du web.

A l'issue d'un long parcours chaotique, le Parlement français a adopté ce 13 mai, via un ultime vote de l'Assemblée nationale, la proposition de loi de Laetitia Avia (La République en marche) visant à «mettre fin à l'impunité» de la haine en ligne, synonyme de «censure» selon ses détracteurs.

La majorité ainsi que les députés UDI-Agir ont globalement voté pour, les socialistes se sont pour la plupart abstenus, tandis que les parlementaires de droite, de Libertés et territoires, de La France insoumise (LFI) et du Rassemblement national s'y sont opposés.

Retrait des contenus «manifestement» illicites en moins de 24 heures

Selon ce texte, les opérateurs de plateforme en ligne (Facebook, YouTube...) et moteurs de recherche (Google, Qwant...), dont l’activité sur le territoire français dépassera des seuils déterminés par décret, seront tenus de retirer ou déréférencer dans un délai de 24 heures tout contenu «manifestement» illicite, après signalement par une ou plusieurs personnes. 

Les messages, vidéos ou images concernés, rapporte l'AFP, sont ceux «constituant des provocations à des actes de terrorisme, faisant l’apologie de tels actes ainsi que des crimes contre l’humanité, ou comportant une incitation à la haine, la violence, la discrimination». Les injures envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine, de leur appartenance ou non-appartenance à une race, religion, ethnie, nationalité, à raison de leur sexe, de l’orientation sexuelle, de l’identité de genre ou de leur handicap, seront également bannis. De même pour les contenus constitutifs de harcèlement sexuel ou, s'il sont susceptibles d'être vus par un mineur, ceux à caractère pornographique.

Point particulier : le retrait devra être fait en une heure pour les contenus terroristes ou pédopornographiques, en cas de notification par les autorités publiques.

La justice pourra prononcer des amendes jusqu'à 1,25 million d'euros envers les opérateurs qui refusent le retrait de contenus illicites. Les éventuels signalements abusifs par les utilisateurs de plateforme seront eux passibles d'un an d'emprisonnement et 15 000 euros d'amende.

Un parquet et une juridiction seront spécialisés dans la lutte contre la haine en ligne.

Création d'un «observatoire de la haine en ligne» 

Autre élément du texte adopté : la lutte contre la diffusion de messages haineux en ligne devra faire partie du programme scolaire et la formation des enseignants sera renforcée.

De plus, un «observatoire de la haine en ligne» sera créé pour assurer «le suivi et l’analyse de l’évolution des contenus» haineux, en lien avec opérateurs, associations et chercheurs.

Bouton unique de signalement

Pour faciliter les signalements d'utilisateurs, les plateformes devront mettre en place un dispositif de notification «directement accessible» à partir du contenu litigieux, et «uniforme». D’un réseau social à un moteur de recherche, il sera ainsi facilement reconnaissable.

Ces utilisateurs devront être tenus informés des suites données à leur notification.

Les mineurs victimes d’un contenu abusif pourront saisir des associations de protection, qui agiront pour eux. 

Menace pour la liberté d'expression, pouvoir accordé aux GAFA... Les craintes soulevées par ce texte

Cette proposition de loi a suscité de nombreuses réserves au cours de son élaboration de la part de membres de l'opposition.

La présidente du Rassemblement national (RN), Marine Le Pen, dénonçait encore ce 13 mai une «violation gravissime de la liberté d'expression». Elle a accusé le gouvernement, via cette loi, de «sous-traiter la censure au privé», d'avoir «mis en œuvre la disparition du rôle du juge dans la protection de la liberté d'expression» et de «transmettre aux GAFA [les géants américains du web], le soin de déterminer qui aura le droit de parler, de quoi il aura le droit de parler et comment il aura le droit d'en parler».

Dans la même veine, le leader de Debout la France (DLF), Nicolas Dupont-Aignan, a estimé que le gouvernement «transférait aux GAFA un pouvoir considérable», voyant «un extrême danger pour l'avenir».

Dans un baroud d'honneur, La France insoumise (LFI) a quant à elle défendu une motion de rejet, demandant par la voie d'Alexis Corbière quelle était «l'urgence à mettre en place une loi liberticide».

Les communistes, enfin, ont boycotté la séance, dénonçant un «fonctionnement inacceptable» de l'Assemblée nationale, alors que la présence des députés était limitée à 150 pour raisons sanitaires.

Le Conseil national du numérique, la Commission nationale consultative des droits de l'Homme (CNCDH), ou encore la Quadrature du Net, qui défend les libertés individuelles dans le monde du numérique, avaient également exprimé leurs craintes quant à cette proposition de loi.