France

Les députés débattront autour de l'appli controversée StopCovid

Le calendrier de la potentielle mise en route de l'application de traçage des malades du Covid-19 se précise : un débat sans vote aura lieu dès le 28 avril à l’Assemblée tandis que sa pertinence est remise en question, y compris par ses défenseurs.

Le débat sur l’application pour téléphone mobile destinée au suivi numérique des malades du coronavirus sur la base du volontariat, StopCovid, voulue par Emmanuel Macron, s’approche des Chambres. Il aura lieu le 28 avril à l’Assemblée et ne donnera lieu à aucun vote, en application de l’article 50-1 de la Constitution. Un autre débat se tiendra dès le lendemain au Sénat. Une absence de vote qui a fait réagir plusieurs parlementaires, à commencer par le député du Maine-et-Loire (Libertés et Territoires), l'ancien marcheur Matthieu Orphelin, qui y voit un refus de l'échange parlementaire.

D'abord simple éventualité, le projet prend corps en France, alors qu'il est déjà en œuvre dans de nombreux pays, dont la Corée du Sud et Israël. Durant son allocution du 13 avril, Emmanuel Macron avait évoqué une collaboration «avec certains de nos partenaires européens» pour imaginer une «application numérique dédiée [...] sur la base du volontariat et de l'anonymat».

La Quadrature du Net appelle au rejet

Les malades pourraient, sur la base du volontariat, avertir l’application qu’ils sont porteurs afin qu'elle puisse envoyer un message d’alerte. L'appli StopCovid aurait alors pour principe d’avertir l’utilisateur lorsque dans les quinze derniers jours, son chemin aurait croisé celui d’une personne diagnostiquée positive au coronavirus, sans connaître son identité. 

La Quadrature du Net, association militante pour l'internet libre et décentralisé, n'a pas tardé pour pointer les manquements et dangers de cette initiative en adressant aux parlementaires une série d'arguments pour rejeter StopCovid

La technologie utilisée révèle déjà un problème d’efficacité. L’utilisation du GPS, jugée trop invasive, a été délaissée au profit du Bluetooth ; technologie qui permet l’échange des données à courte distance entre smartphones. Mais elle ne permet pas de différencier un malade contaminant, d'un qui ne le serait pas, parce qu'il est éloigné de quelques mètres ou se trouve dans l'immeuble d'à-côté. 

Est-ce que nous allons réussir à avoir quelque chose qui soit suffisamment précis pour que cela serve son objectif épidémiologique ?

Ce détail d’importance n’a pas échappé à Cédric O, secrétaire d’Etat au Numérique, qui a avoué le 14 avril en commission des affaires économiques du Sénat : «Est-ce que nous allons réussir à avoir quelque chose qui soit suffisamment précis pour que cela serve son objectif épidémiologique ? Je suis optimiste, mais pas totalement certain.» 

L’hostilité est encore plus grande dans l’opposition, et même au sein de la population, puisqu’un sondage Ifop dévoilé le 12 avril révèle que seuls 46% des Français seraient prêts à la télécharger.

L’appli est efficace pour un taux d’adoption de 60%

Outre la fiabilité toute relative de Bluetooth, cette application de tracking ne devient réellement utile que si une masse significative l’adopte. «L’appli est efficace pour un taux d’adoption de 60%», a expliqué le spécialiste des médias sociaux et enseignant à Sciences Po Fabrice Epelboin, à RT France. «70% des Français ont un smartphone, cela revient à dire qu’il faudrait que neuf personnes sur 10 possesseurs d’un smartphone l’adoptent. En l’état, elle ne pourra pas être efficace», a-t-il poursuivi. Sans oublier un autre critère crucial. «La seule manière que ce genre de choses soient efficaces, si l’on se base sur les modèles d’autres pays, est de tester le nombre maximum de personnes positives», explique Sham Kakade, titulaire de la chaire de sciences des données à l'Université de Washington, interviewé sur le site spécialisé américain Wired. Or le dépistage est un des énièmes maillons faibles des initiatives menées par la France pour combattre le coronavirus. La France n’a toujours pas atteint son objectif de 50 000 tests par jour, et plafonnait à 21 000 dépistages quotidiens au cours de la deuxième semaine d’avril.

La gestion des données personnelles préoccupe

Hormis l'efficacité toute relative de l'application, la gestion des données personnelles préoccupe jusque dans les rangs des députés LREM. Pierre Person, Sacha Houlié ou encore Guillaume Chiche ont fait savoir leur opposition à une telle application, qui menacerait la vie privée et ne garantirait pas le respect des données personnelles. Des craintes relayées par la Quadrature du net.

L’hostilité est encore plus forte dans l’opposition qui pense comme les Français que les données personnelles peuvent être exploitées ou volées. Pour Fabrice Epelboin, spécialiste des médias sociaux et du web social, «dans l'immédiat le risque est limité, car nous n'avons pas au gouvernement des individus qui ont ce genre d'approche de la technologie.»

D'énormes enjeux de souveraineté numérique

D’autres encore, au sein même du gouvernement, redoutent l’entrée dans la course d’Apple et Google, les éditeurs d'IOS et d'Android, systèmes d’exploitation de nos smartphones. Les deux entreprises rivales ont annoncé, le 10 avril, collaborer au sein d’un accord historique pour rendre possible la bonne marche des applications de santé du type StopCovid.

Une annonce qui a troublé l'un des conseiller du gouvernement Aymeril Hoang en commission des lois au Sénat le 15 avril : «A titre personnel, je pense que cela pose d'énormes enjeux de souveraineté numérique», a-t-il ajouté, imaginant à tort que Google et Apple développaient l'appli de tracking. 

Pour Fabrice Epelboin, le risque est faible : «Apple et Google ne développent pas l’outil, ils développent une API, une base technique qui va permettre de développer ce type d’outil et qui va les rendre interopérables. Interopérables d’une part entre un utilisateur d’Android et un utilisateur d’iPhone, et d’autre part entre l’appli développée pour la France et celle qui sera développée pour l’Italie ou pour la Belgique.»

Efficace ou non. Indiscrète ou non. Dangereuse ou non. L'application StopCovid pose plus de questions qu'elle n'y répond. Et les débats au palais Bourbon nous promettent de longues heures de discussion, même sans vote.