Les policiers scientifiques ont fait grève pendant de longues semaines pendant l'hiver pour obtenir le même statut que leurs collègues de la police nationale, dits «d'active», mais sans obtenir de réelle avancée, au grand dam des syndicats du secteur qui se sont heurtés à un mur du côté de Beauvau. Cependant, le 1er avril Christophe Castaner s'est rappelé au bon souvenir de ses agents en déclarant sur LCI que la gendarmerie et la police scientifiques seraient mobilisées pour dépister le Covid-19 au sein de la population générale.
Il y a une différence entre la communication politique et la réalité scientifique
«Dans les heures qui viennent, dans les jours qui viennent, entre la police et la gendarmerie, nous serons en mesure de tester des patients [malades] du Covid qui nous seraient, pour les tests, envoyés par les hôpitaux et nous serons là pour renforcer encore nos moyens de dépistage et donc oui, euh, nos, notre savoir-faire en matière de police technique et scientifique va être totalement mobilisé au service de la santé des Français», a ainsi répondu le ministre à la «très bonne question» d'Elisabeth Martichoux sur La Chaîne Info le 1er avril.
Or ceux qui y auraient cru assister à une plaisanterie du 1er avril en seront pour leurs frais car ces mêmes policiers scientifiques, dont le ministre de l'Intérieur n'avait pourtant pas souhaité recevoir les représentants à l'issue d'une manifestation achevée devant l'hôtel de Beauvau le 15 janvier, vont effectivement être mis à contribution... dans la mesure de leurs moyens.
Contacté par RT France, Guillaume Groult, secrétaire national adjoint du Snipat, (syndicat qui regroupe les policiers techniques et scientifiques) s'est ainsi exprimé : «Ce que nous avons entendu, c'est la déclaration politique d'un ministre. Il y a une différence entre cela et la réalité scientifique.»
«Nous n'avons pas les moyens actuellement», plaide un syndicaliste
Le policier scientifique militant détaille alors : «Les effectifs sont évidemment prêts à aider leurs concitoyens, mais nous n'avons pas les moyens techniques pour le moment de recevoir des malades, ni des échantillons dans nos locaux. La gendarmerie peut le faire grâce à son équipement mobile, comme elle va le faire à l'hôpital de Garches, mais si l'annonce du ministre a une vocation politique, notre seule assistance possible va être matérielle.»
En l'espèce, bien loin de la communication du ministre sur LCI, la police scientifique va plus simplement prêter ses machines aux laboratoires des CHU qui en auront besoin : «Nous disposons de cinq machines PCR [pour procéder au séquençage ADN, dans le cas présent, du virus] et nous en avons déjà mis deux à disposition, une pour le CHU d'Amiens et l'autre pour la gendarmerie mobile», explique placidement Guillaume Groult, qui conclut : «L'approche du ministre était politique, celle de notre directeur est très professionnelle et mesurée. Sur le principe, nous voulons tous aider, mais les conditions actuelles ne permettent pas l'analyse chez nous.»
Nous avons fait deux mois de grève, on nous a méprisés, oubliés et tout d'un coup, ils se souviennent de nous ?
Soazig Henrio, déléguée zonale Nord au Snipat et technicien principal de police scientifique, a aussi déploré auprès de RT France la communication de Christophe Castaner : «Nous avons appris par voie de presse que nous allions être mis à contribution et la communication du ministre donnait un peu l'impression que nous allions nous-mêmes réaliser les tests sur la population générale... Déjà, nous n'avons même pas les moyens de protection élémentaires ! Avec leur unité mobile, je comprends bien que les gendarmes puissent le faire, mais nous ne pouvons même pas faire entrer des gens dans nos laboratoires. Nous risquerions de contaminer nos locaux avec de l'ADN humain. Mais surtout, les collègues ont la rage, parce qu'on aurait pu être prévenus autrement que dans les médias !»
Les collègues ont la rage... On aurait pu être prévenus autrement que dans les médias !
Et la policière scientifique d'enchaîner, outrée : «Nous avons fait deux mois de grève, on nous a méprisés, oubliés et tout d'un coup, ils se souviennent de nous ? Bien sûr que la population peut compter sur nous, comme toujours, nous ferons le travail, nous avons déjà commencé d'ailleurs... Mais ce serait bien qu'on se souvienne de nous aussi quand nous demandons une reconnaissance pour nos statuts.»
La présentatrice Elisabeth Martichoux a estimé lors de son entretien avec Christophe Castaner qu'en tant que ministre il connaissait «mieux que nous» la police scientifique, mais la syndicaliste interrogée par RT France ne semble pas si certaine de cette information : «Après la communication du ministre, mon téléphone n'a pas arrêté de sonner, les collègues m'appellent tous, en panique, même des amis des CRS ! La plupart des collègues sont très agacés par cette communication, surtout compte tenu de notre passif avec le ministre au cours de l'hiver. Aucune piste n'avait été évoquée en ce sens au cours des réunions avec nos représentants syndicaux depuis le début de l'épidémie ! Nous avons une mission de service public, donc pas de souci, mais nous découvrons comme ça que nous allons faire des dépistages de Covid-19, alors que nous n'avons pas le matériel adéquat, ni forcément le savoir-faire, les formations nécessaires, nous avons quelques virologues, mais pas les kits pour travailler sur le virus. Mais, évidemment, comme le ministre n'est jamais venu nous voir dans nos locaux à Lille, il ne peut pas savoir que ça ne fait pas en claquant des doigts.»
Pour résumer, si la gendarmerie scientifique dispose bien d'une unité mobile spécifiquement dédiée au déploiement d'urgence, la police scientifique pour sa part ne dispose que de laboratoires qui ne peuvent pas être mis à contribution pour le moment et devra donc se contenter de prêter des machines... En attendant d'avoir du nouveau concernant la dangerosité réelle de ce métier et à propos du statut réclamé à cors et à cris par ces agents sédentaires depuis des années.
Antoine Boitel