La police technique et scientifique jouit d'une image valorisante dans les œuvres de fiction, mais au sein de l'administration française, selon le syndicat du secteur, elle fait office de cinquième roue du carrosse. En cause, un manque de reconnaissance de la pénibilité et de la dangerosité du métier, dont découle un statut désavantageux (dit «sédentaire») par rapport à celui des autres policiers (dit «actif»)... Dans leur malheur, il y a pourtant un droit auquel ont accès les policiers scientifiques : la grève. Alors, pour exprimer leur exaspération, ils ont décidé d'en faire usage.
Résultat, 80% des services de police scientifique sont actuellement à l'arrêt. «Ce sont les retours de terrain que l'on a eus par les hiérarchies locales», a expliqué à RT France Xavier Depecker, secrétaire national du Syndicat national indépendant des personnels administratifs techniques et scientifiques de la Police nationale (SNIPAT). Le syndicaliste précise qu'il faut ajouter aux grévistes ses nombreux collègues actuellement en arrêt maladie.
Le paradoxe est saisissant : avec moins de 2% de la masse salariale de la police nationale, les policiers techniques et scientifiques résolvent un tiers des enquêtes, selon les chiffres communiqués par le SNIPAT. Xavier Depecker explique ce grand écart par un développement du code de la procédure pénale : depuis 2016, «la personne gardée à vue peut demander que l'avocat assiste à ses auditions et confrontations». Conséquence, si le mis en cause choisit de garder le silence, la présentation des preuves permettant d'inculper ou de disculper incombe principalement à la police technique et scientifique ou à leurs homologues de la gendarmerie.
Par ailleurs, en 2010, ces agents ont été équipés de gilets pare-balles pour leurs déplacements sur les scènes criminelles. Et pourtant, à la différence de leurs collègues de l'«active», ils ne sont pas armés... Nouveau paradoxe : si leur filière n'est pas considérée comme un métier à risque, pourquoi cette dotation défensive ? Le syndicat estime en outre que les risques psychosociaux sont importants, les agents étant confrontés à des images et à des prélèvements perturbants à longueur de journée, une affaire après l'autre. «C'est un coût de répétition», plaide le secrétaire national adjoint du SNIPAT, Guillaume Groult.
Mais surtout, le syndicat est choqué par les méthodes employées par les hiérarchies locales pour mettre fin à la suspension du travail : plutôt que d'avoir recours, comme le prévoit le règlement, aux services de la gendarmerie scientifique, les hiérarchies locales utilisent la réquisition. Le SNIPAT dénonce des manières «intrusives» : des collègues policiers ont notamment été envoyés aux domiciles de certains agents pour faire pression sur leurs familles jusqu'à ce que le policier réquisitionné réponde présent au service d'astreinte. Le SNIPAT vilipende également une politique du «harcèlement» par SMS ou sur WhatsApp. «Ils ne veulent pas faire appel aux gendarmes, ça les dérange», déplore Guillaume Groult. «Plutôt qu'engager un dialogue, l'administration a préféré user de menaces et de chantages», précise un communiqué du syndicat.
Hasard des circonstances, alors même que les deux syndicalistes étaient interrogés par RT France à Boulogne-Billancourt le 2 janvier, ils ont reçu la preuve d'un nouveau camouflet adressé à leurs collègues grévistes de Brest. Sur leur porte, un mot était affiché : «Bande de fainéants en grève, P.S : merci pour les gens qui pallient à [sic] vos carences, bonnes fêtes. »
Les cartes de la reconnaissance de la pénibilité au travail et des droits qu'elle ouvre aux policiers seront rebattues avec la réforme Delevoye sur les retraites qui va changer la donne pour toute cette fonction publique, dorénavant logée à la même enseigne que les autres (sauf pour les policiers de terrain sous certaines conditions bien précises). Quoi qu'il en soit, le SNIPAT se dit opposé à la réforme qu'il juge défavorable pour l'ensemble des Français. Les policiers militants entendent également se voir attribuer des effectifs plus étoffés, lassés de devoir faire tourner certains services à seulement deux ou trois agents dans certains cas et donc de cumuler des astreintes récurrentes, notamment la nuit et les week-ends. Le SNIPAT rappelle que certains policiers scientifiques, confrontés à cette incurie, préfèrent tout simplement démissionner.
Et le partenaire social de réitérer la même demande depuis la dotation de gilets pare-balles en 2010 : bénéficier d'un statut identique à celui des collègues d'active, au lieu d'être cantonné au régime sédentaire, comme les employés des bibliothèques nationales, par exemple.
«Si Castaner vient sur le terrain avec nous et trouve une tête coupée dans un micro-ondes pendant des prélèvements, il comprendra peut-être», lâche un syndicaliste en off. En attendant cet événement peu probable, les policiers scientifiques prévoient des actions très visuelles dans plusieurs villes de France au cours du mois de janvier, selon les associations de policiers contactées par RT France... Rendez-vous dans la rue.
Antoine Boitel