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Covid-19 : «Ce n'est pas une vague qu'on attend, c'est un tsunami», alerte un député des DOM-TOM

En pleine pandémie de Covid-19, 200 000 masques ont été envoyés aux professionnels de santé de La Réunion. Cependant, la plupart présentent des taches de moisissures et sont inutilisables. «On n'est pas des animaux», s'indigne un médecin réunionnais.

200 000 masques, dont près de 120 000 masques FFP2, ont été livrés par l'Agence régionale de santé (ARS) le 24 mars aux pharmaciens, médecins et infirmiers libéraux de l'île de la Réunion. Toutefois, la majeure partie de ces masques, tant attendus pour lutter efficacement contre la pandémie de Covid-19, présente des taches brunes de moisissure et une forte odeur de pourriture, d'après des professionnels de santé locaux, comme le souligne notamment la chaîne de télévision et de radio publique Réunion La Première.

Les masques constituent pourtant un équipement indispensable pour gérer au mieux cette crise sanitaire, mais ceux-ci sont inutilisables. «Scandaleux», «masques pourris» se sont indignés le 24 mars certaines infirmières sur les réseaux sociaux, d'après Réunion La Première.

«Je voudrais rappeler qu'on n'est pas des animaux, on est des médecins»

La pandémie de Covid-19 n'en est qu'à ses débuts sur l'île de la Réunion, mais les professionnels de santé et les politiques alertent déjà sur une possible catastrophe sanitaire face à la progression rapide du virus dans ces territoires qui ne pourront pas transférer leurs malades vers d'autres départements, au vu de leur situation géographique.

Fière d'annoncer l'arrivée de plusieurs lots de masques, l'ARS a en réalité livré une mauvaise surprise à l'ensemble des Réunionnais, créant colère et anxiété.  

«Ça c'est des horreurs. Mettre ça sur le nez excusez-moi Mme Ladoucette [Martine Ladoucette, directrice de l'ARS] mais je ne vais pas pouvoir. Je voudrais rappeler qu'on n'est pas des animaux, on est des médecins, et on ne met pas des masques pour rien !», s'est indigné un médecin réunionnais dans une vidéo reprise par le site web d'information Zinfos974, basé à Saint-Denis, sur l'île de La Réunion.

Le président de l'Ordre des pharmaciens de La Réunion, Claude Marodon, a également exprimé sa colère : «Je préconise de ne pas les utiliser. Il faut isoler ces masques pour ne pas rajouter un problème à un autre. Il est hors de question de prendre le temps pour refaire un contrôle...», dont les propos ont été repris par Réunion La Première.

Le député européen de la France insoumise, Younous Omarjee, s'est offusqué sur Twitter de la livraison de masques moisis et a dirigé sa colère vers le gouvernement français : «A l'île de la Réunion, ce sont des masques moisis qui sont livrés. Digne? Digne d'un pays comme la France ? A La Réunion, à Mayotte l'imprévoyance de l'Etat, l'inorganisation, la faiblesse des services publics orientent vers un drame d’ampleur.»

Pourtant, ces lots de masques proviennent du stock «stratégique, régional et historique relativement ancien. Ces stocks avaient été constitués pour la protection du risque NRBC [nucléaire, radiologique, biologique et chimique], mais aussi pour la protection du risque variole ou du risque H1-N1», s'est défendue Martine Ladoucette le 24 mars d'après Réunion La Première.

Dépassée par les événements et vivement critiquée, l'ARS a finalement demandé, le 25 mars, aux pharmacies de ne pas distribuer les masques livrés la veille aux professionnels de santé libéraux. «Plusieurs d'entre-vous nous ont alertés sur l'état dégradé d'une partie des masques FFP2 qui vous ont été livrés [le 24 mars] pour remise aux professionnels libéraux. En conséquence, il vous est demandé de cesser la distribution de masques FFP2, qui peuvent être jetés dans le circuit habituel des ordures», est-il indiqué sur la notice d'information délivrée par l'ARS aux pharmaciens, d'après Zinfos974. L'agence a également promis une nouvelle livraison de 200 000 masques FFP1 et FFP2 d'ici la fin du mois, toujours selon Réunion La Première.

«Ce n'est pas une vague qu'on attend, c'est un tsunami»

L'inquiétude est forte à La Réunion et à sa voisine Mayotte, toutes deux passées au stade 2 de la pandémie le 24 mars, alors que les autres territoires d'Outre-mer sont toujours en stade 1. La Réunion compte désormais 94 cas, souvent «importés» de métropole, selon l'AFP. Le territoire le plus peuplé d'outre-mer avec près de 860 000 habitants, peut s'appuyer sur 112 lits de réanimation.

La Réunion est «tellement loin de tout, avec une telle pauvreté, précarité, promiscuité et avec des comorbidités si nombreuses, une population si souvent cruellement démunie, que nous pouvons nous attendre à des taux de mortalité plus élevés que ceux en métropole», affirme le docteur Kathia Cadinouche, généraliste et régulatrice au Samu, au nom d'«un collectif informel de professionnels de terrain», repris par l'AFP.

«Nous sommes sur une île, loin de la métropole : quand nos moyens de prise en charge des cas sévères seront saturés, il n'y aura aucune possibilité de prise en charge alternative», ajoute le conseil départemental de l'ordre des médecins. Face au système hospitalier défaillant des îles voisines, Madagascar, les Comores et même Mayotte, la seule évacuation sanitaire possible devra se faire vers l'Hexagone à 10 heures d'avion. 

Mayotte aussi s'attend au pire. «Ce n'est pas une vague qu'on attend, c'est un tsunami», alerte le député Les Républicains (LR) de Mayotte Mansour Kamardine, qui réclame un avion-cargo et le porte-hélicoptère Le Mistral avec ses 69 lits médicalisés, selon l'AFP. «Trois fois moins bien équipée que La Réunion par habitant, [...] Mayotte n'est pourvue que de 16 lits de réanimation» pour 256 000 habitants, déplore-t-il, alors que des soignants sont déjà infectés par le virus.

Le député et président de la France insoumise, Jean-Luc Mélenchon, s'est fait le relais sur Twitter du désarroi du député Mansour Kamardine et des Mahorais : «Mayotte appelle au secours. Une fois de plus, rien de prévu. Rien d'organisé.»

«Je crains de m'exposer et d'exposer mes patients», avoue Saïndou Allaoui, président du Syndicat national des infirmiers libéraux, d'après l'AFP. Et de poursuivre : «Tout le monde a peur, on n'est pas équipés, on n'a pas les moyens nécessaires.»

Ousseni Balahachi, secrétaire général de l'UI CFDT Mayotte et infirmier à l'hôpital de Mamoudzou, appelle à un «droit de retrait» du personnel hospitalier, selon l'AFP. «En temps normal, on n'est pas assez, on n'arrive pas à s'occuper de la population. Si tout le monde est contaminé, l'hôpital va fonctionner comment ?», demande-t-il, regrettant que «le matériel arrive au compte-goutte».