Les policiers interdits de port du masque de protection lors des échanges avec le public ? Selon une décision qui émanerait de la Direction générale de la police nationale, l'emploi de ces équipements serait conditionné à une autorisation expresse de cette dernière... En l'absence de quoi, cette utilisation des masques serait proscrite.
C'est en tout cas, le sens d'un message qui circule sur les réseaux sociaux depuis le soir du 17 mars : il s'agit en l'espèce de la capture d'écran d'un e-mail visiblement réalisé par un agent et qui reproduirait le message d'un contrôleur général de la police nationale.
Dans ce message à ses troupes, le haut gradé qui occupe cette fonction éminemment élevée dans la hiérarchie policière francilienne explique : «Je confirme les déclarations du chef d'état-major qui viennent de m'être rappelées par la direction centrale : il est absolument proscrit de porter le masque sur la voie publique ou à l'accueil du public. [...] Cette mesure s'applique à tous les services de police et donc à toutes les directions de la police nationale sans exception.»
Joint par RT France, le service de communication de la police nationale (SICOP) n'a pas été en mesure de confirmer la véracité de l'e-mail ci-dessus avant la publication de cet article, mais différentes sources policières sollicitées par RT France ont estimé que le message était authentique.
Par ailleurs, une consigne similaire a été relevée dans une compagnie républicaine de sécurité (CRS) qu'une source policière a bien voulu transmettre à RT France :
La teneur est légèrement différente sur cette affiche : pas d'interdiction formelle de porter les masques pour les policiers, mais autorisation de ne les porter que sur instruction de la direction générale de la police nationale validée par la direction centrale des CRS... C'est-à-dire qu'il est interdit de les porter sauf en cas de force majeure, avec un ordre ad hoc.
Erreur de communication interne ou vraie consigne ?
La question de savoir d'où émane en réalité cette instruction aux forces de police de ne pas porter de masques de protection se pose à ce stade parce que la direction générale est invoquée dans un cas et la direction centrale dans un autre.
Interrogé à cet égard, Xavier Depecker, secrétaire national des policiers scientifiques au syndicat Snipat, a pour sa part estimé que la direction générale ainsi que la direction centrale de la police nationale avaient bien saisi les risques pour les agents, mais que les directives étaient appliquées par les directeurs départementaux selon leur appréciation des consignes.
Nous avons une fonctionnaire à Cannes qui a été testée positive au coronavirus et elle a travaillé récemment au contact du public sans protection
Mais le syndicaliste ajoute : «Ces consignes cachent surtout un simple fait : nous ne disposons pas de masques, c'est tout. Le gros problème qu'on va avoir à présent, c'est que notre administration ne sait pas du tout gérer ce genre de crise sanitaire ! Je le dis et je le répète, la police nationale est totalement hors des clous dans cette affaire !»
Ce qui inquiète particulièrement Xavier Depecker au téléphone, ce sont les conditions de travail actuelles des agents toujours au contact du public et une nouvelle qui lui a été remontée de la part d'un service de police technique et scientifique bien précis : «Nous avons une fonctionnaire PTS [police technique et scientifique] à Cannes qui a été testée positive au coronavirus et elle a travaillé récemment au contact du public sans protection. Elle a effectué des signalisations ADN [avec un coton-tige dans la bouche des individus concernés] et relevé les empreintes notamment. Elle a très bien pu contaminer du public et ses collègues sans le savoir.»
En tout état de cause, le syndicat ViGi-Police a fait parvenir à RT France une vidéo ce 18 mars, enregistrée dans un véhicule de police en Ile-de-France. On y entend la radio du fonctionnaire donner instruction à «tous les effectifs déployés sur le terrain de retirer les masques protection.»
Unsa-Police charge le gouvernement et s'inquiète pour les policiers
Du côté d'Unsa-Police, les responsables syndicaux alertent depuis au moins le mois de février sur le manque de protection des agents face à cette crise sanitaire, de même que ce partenaire social avait été en pointe pour alerter sur le manque de protection individuelle des primo-intervenants à Rouen lors de l'incendie du site Lubrizol en octobre 2019.
Joint par RT France, le syndicat a fait savoir à nouveau toute son inquiétude et a soulevé un paradoxe au téléphone : «La France a envoyé 17 tonnes de matériel de protection en Chine, qui en a ensuite envoyé en Italie à son tour par solidarité... [voir le communiqué des Affaires étrangères françaises en date du 19 février]. Ils ont des masques français là-bas pendant que les Français en manquent ? Nous ne comprenons pas. La hiérarchie fait savoir aux CRS que les masques seront portés uniquement sur instruction du DGPN, soit... mais au regard des récentes déclarations d'Agnès Buzyn, Unsa-Police s'interroge sur l'utilité d'avoir envoyé ces masques en Chine alors que nous savions déjà que "la vague du tsunami était devant nous", comme elle l'a dit. Le résultat, dans notre branche, c'est que les policiers travaillent dans des conditions qui ne sont pas dignes.»
Un policier joint par RT France a également déploré : «Dans cette administration, on agit toujours avec un temps de retard, on réagit, mais on n'anticipe pas. Résultat, les collègues n'ont pas de masques. On va avoir des morts par négligence, malheureusement. Le facteur angoisse est évoqué par les patrons pour justifier l'interdiction de porter le masque FFP2 aux policiers, mais la réalité, c'est surtout qu'on n'en a pas de toute façon et je ne parle même pas de la date de péremption qui ne vaut en fait que pour l'élastique qui maintient le masque, ce dernier reste opérant malgré tout, mais nous n'en avons pas assez et quand il y en a, c'est bien souvent parce qu'un commandant avisé a prévu des stocks sur les deniers de l'unité. Nous le voyons bien quand nous croisons des collègues en police municipale qui sont mieux protégés que nous en police nationale !»
On va avoir des morts par négligence, malheureusement
Fidèle à sa verve, l'association de policiers en colère UPNI a publié sur son compte Facebook un message ironique adressé notamment au préfet de police de Paris, Didier Lallement et à l'ancien ministre des Solidarité et de la Santé, Agnès Buzyn : «Rappelons que [les forces de l'ordre] ne sont absolument pas pourvues en matériel de protection élémentaire. Pas de masques, pas de gel, pas de gants...ce qui n'émeut nullement le Préfet de police de Paris dont le degré d'exposition est à peu près égal à zéro. À l'évidence, les services les plus concernés, personnels médicaux et d'intervention sur le terrain, sont les plus défavorisés. [...] Une simple suggestion faite à Madame Buzyn qui paraît trépigner d'être utile à son pays. Qu'elle rejoigne sans tarder une unité où son expérience, son dévouement et ses qualités humaines seront appréciés à leur juste valeur. A bon entendeur.»
De toute façon, on n'a pas de masques !
Une autre organisation de policiers en colère très active sur les réseaux sociaux, le Collectif autonome des policiers d'Ile-de-France a également alerté, dès le 17 mars, sur le sujet de cette proscription des masques pour les fonctionnaires de police dans certains départements : «En pleine crise sanitaire, la Direction Centrale (DCSP) et un Directeur Départemental de la région parisienne interdisent le port des masques de protection à leurs effectifs ! Monsieur Castaner, y a pas un problème là ? Vous voudriez que l'on accueille et contrôle nos concitoyens dans la rue sans moyen de protection ? Nous vous écoutons...»
Des interrogations en suspens depuis plusieurs semaines
Ainsi que RT France le faisait savoir le 17 mars, depuis plusieurs semaines et particulièrement depuis les nouvelles mesures communiquées au grand public le 16 mars, des inquiétudes ont été émises dans les rangs de la police nationale (syndicats et associations notamment) concernant la santé des fonctionnaires confrontés à l'accueil des publics dans les commissariats, et chargés de réaliser des contrôles de confinement dans le contexte de la pandémie de Covid-19 en France.
Mais ce sentiment est devenu très concret à partir du 17 mars avec l'injonction faite aux Français de rester chez eux et de n'en sortir que sous des conditions strictes. De nombreux policiers ont alors déploré les conditions de travail et le manque de protection.
Antoine Boitel