Sur TF1 le 13 mars, le Premier ministre Edouard Philippe s'est montré résolument confiant dans l'organisation des élections municipales, et ce en dépit de l'épidémie de coronavirus qui touche le pays. «Si nous avons pris cette décision, c'est en écoutant les scientifiques et nous avons la conviction que nous pouvons organiser dans de bonnes conditions le premier et le second tour [les 15 et 22 mars]», a-t-il assuré.
Si le Premier ministre affiche sa confiance, dans les communes c'est le branle-bas de combat afin de suivre les recommandations du ministère de l'Intérieur pour mettre en place des bureaux de vote les plus sains possibles.
Dans une circulaire du 10 mars, l'Intérieur présente ainsi de nombreuses mesures à cet effet : «L'électeur devra pouvoir être maintenu à une distance suffisante de chaque personne dans les bureaux de vote (1 mètre environ)» ; «chaque bureau de vote devra prévoir un point d'eau afin de se laver les mains à proximité ou, à défaut, mettre à disposition du gel hydro-alcoolique» ; «un nettoyage particulièrement attentif des bureaux de vote avant et après chaque tour de scrutin, avec la recommandation d'utiliser des solutions nettoyantes à base d'hypochlorite de sodium (eau de javel)» ; «Il est recommandé aux électeurs de ramener leur propre stylo d'encre bleue ou noire indélébile pour émarger» ; «[Il est recommandé dans les bureaux de] laver les machines à voter toutes les demi-heures»...
Autant de préconisation difficiles à mettre en œuvre, notamment dans les petites communes, comme nous l'a confié sous couvert d'anonymat le maire d'une commune de moins de 1 000 habitants. D'autant que, comme il l'explique à RT France, la préfecture le contacte quasi quotidiennement, notamment par mail, pour formuler de nouvelles préconisations, comme par exemple l'installation particulière des rideaux d'isoloir (afin que les électeurs ne les touchent pas), ou la mise en place à l'entrée du bureau de vote de solutions lavantes comme du gel hydro-alcoolique.
Si les recommandations sont multiples, les moyens fournis par les pouvoirs publics pour les mettre en œuvre ne sont pas à la hauteur : «Lorsqu'on demande à la préfecture comment se procurer du gel hydro-alcoolique, ils nous rétorquent poliment qu'ils ne peuvent répondre à la pénurie. Pour eux, il faut simplement permettre aux électeurs d'accéder facilement à un lavabo avec du savon, pour se laver les mains. Sauf que, dans notre cas, ce serait tout une gestion particulière et compliquée pour permettre, à chaque électeur, de passer par la case lavabo avant d'entrer dans le bureau de vote. On a donc trouvé une autre solution en offrant, à l'entrée, des lingettes désinfectantes, qui étaient stockées dans notre école.»
Cette municipalité mettra aussi en place un fléchage au sol afin de respecter la consigne de la distance d'un mètre de séparation entre chaque individu. Reste à savoir si les électeurs respecteront scrupuleusement les consignes d'hygiène.
Un report envisagé
Face à cette situation inédite, Emmanuel Macron et le gouvernement a bel et bien envisagé l'hypothèse d'un report et a à cet égard consulté l'ensemble des forces politiques et institutionnelles pour leur demander leur avis. Selon l'AFP, le chef de l'Etat a mis le 12 mars à midi une question détonante sur la table du Conseil scientifique réuni à l'Elysée : faut-il reporter les élections municipales ? «Les voyants étaient au rouge», témoigne un conseiller ministériel du ministère de la Santé auprès de l'AFP.
Durant la journée, l'exécutif a consulté et rencontré les figures des partis politiques et les responsables des institutions françaises. Toujours selon l'AFP, le patron du Modem (allié de La République en marche) François Bayrou, lui-même candidat dans sa ville, aurait plaidé pour un report, s'appuyant sur les prédictions montrant une accélération de l'épidémie au moment du second tour. Le ministre de l'Economie Bruno Le Maire et celui de la Santé Olivier Véran semblaient sur la même ligne. Le ministre de l'Intérieur Christophe Castaner, le président de l'Assemblée nationale Richard Ferrand ou encore le ministre des Collectivités Sébastien Lecornu, quant à eux, auraient émis leur désapprobation quant à un report des échéances électorales.
Dans l'opposition, le président des Républicains (LR) Christian Jacob, le président de l'Association des maires de France et maire LR de Troyes François Baroin, Martine Aubry (PS) et Anne Hidalgo (PS) à Paris, auraient tous fait savoir leur totale opposition à un report. Au téléphone en fin d'après-midi, le président LR du Sénat, Gérard Larcher, a également exprimé son désaccord à Emmanuel Macron. Le président de la République aurait finalement tranché environ une heure avant son allocution du 12 mars, en maintenant les municipales.
Signe que la situation est sur un fil, un décret est prêt, annulant celui qui convoque les électeurs aux urnes les 15 et 22 mars, et reconduisant les équipes en place jusqu'au 31 mars, selon des informations de l'AFP. Un projet de loi, à voter avant le 31 mars, est aussi dans les cartons, demandant à programmer de nouvelles élections avant la fin juin.
Cependant, dans ce contexte de pandémie, les Français se déplaceront-ils aux urnes alors que les précédentes municipales avaient déjà été marquées par une forte abstention (37,87% au second tour en 2014) ? D'après un sondage de l'Ifop du 13 mars, 22 % des Français envisagent de s’abstenir en raison du coronavirus, sur une abstention totale estimée à 42% pour le premier tour. Bien que le scrutin soit maintenu, la crise sanitaire liée au Covid-19 pourrait donc malgré tout jouer un rôle dans ces élections.