Un député du parti présidentiel amené à retirer sa candidature à la mairie de Paris après la fuite de vidéos à caractère sexuel : c'est peu dire que la récente affaire Griveaux a suscité l'émoi au sein des sphères politiques et médiatiques françaises. Les voix se sont instantanément élevées contre l'auteur revendiqué de cette fuite, Piotr Pavlensky, dissident russe ayant obtenu, le 4 mai 2017, le statut de réfugié politique en France.
Qu'on foute ce mec dehors ! Il est réfugié politique, il se comporte comme un salopard
L'activiste fait en effet aujourd'hui l'objet de vives critiques au sujet de ses agissements en France. «Qu'on foute ce mec dehors ! Il est réfugié politique, il se comporte comme un salopard. S'il y a une première chose à faire c'est de le mettre dans un avion direction la Russie et il verra avec monsieur Poutine s'il peut faire ce genre de connerie», a par exemple tonné Bruno Questel, député LREM de l'Eure, lors d'une intervention sur La Chaîne parlementaire (LCP), le 14 février.
«Foire aux ordures», «abomination», «climat inquiétant», de nombreux responsables politiques, tous bords confondus, ont en effet fermement condamné la diffusion sur le web de la vidéo intime de Benjamin Griveaux, dénonçant une méthode indigne et une menace pour la démocratie.
La Russie, un bouc émissaire (presque) parfait
Et, en dépit de l'activisme antigouvernemental russe de Piotr Pavlensky, certains observateurs n'ont pas tardé à imaginer la main de Moscou derrière la fuite des vidéos qui accablent Benjamin Griveaux. «La Russie (et la morale) décide de ceux qui se présentent ou pas à la mairie de Paris», a par exemple tweeté le 14 février l'ancienne animatrice de France 5 et Canal+, Maïtena Biraben.
Une théorie qui fait florès dans certains cercles – bien que rien ne vienne l'étayer – comme en témoigne le message de Dominique Reynié, professeur à Sciences Po, qui a relevé, s'appuyant sur un article du Monde, que l'artiste controversé «[ressemblait] plus à un agent russe qu’à un réfugié politique».
J'ai pas d'élément pour porter d'accusation contre qui que ce soit [mais] on peut toujours se poser la question "à qui ça profite ?"
D'autres sont allés encore plus loin, n'hésitant pas à lier l'action revendiquée par Piotr Pavlensky aux récents épisodes conflictuels entre Benjamin Griveaux et RT France. «Je crois que ça nous interroge tous. Je suis devenu l'avocat de Benjamin Griveaux parce qu'il subit trois poursuites en diffamation de la part de la chaîne RT France. J'entends beaucoup parler de Russie dans cette affaire», a ainsi déclaré l'avocat français Richard Malka sur le plateau de l'émission C à vous (France 5) du 14 février, laissant ses interlocuteurs pensifs. «Il aurait pu être téléguidé cet artiste russe ?», lui a alors demandé la journaliste. «J'ai pas d'élément pour porter d'accusation contre qui que ce soit [mais] on peut toujours se poser la question "à qui ça profite ?"», a conclu l'homme de loi l'air de rien...
La présidente de RT France, Xenia Fedorova, a répondu à l'intéressé sur Twitter. «Lors de cet entretien, Maître Malka tente de faire un parallèle inacceptable entre la situation de M. Griveaux et les actions en diffamation effectuées par RT France en 2019. Pour rappel il s'agit de 2 actions, pas 3.», a-t-elle souligné.
L'avocat de RT France, Jérémie Assous, rappelle de son côté que les deux affaires n'ont absolument aucun lien.
La presse, qui a largement commenté l'action revendiquée par le militant russe, n'est également pas en reste, dénonçant «une technique bien connue en Russie». «En publiant une vidéo vieille de deux ans attribuée à l’ancien secrétaire d’Etat en train de se masturber, Piotr Pavlensky [...] n’a rien fait d’autre que d’imiter les services de sécurité russes», s'est ainsi étonné Le Monde.
Sur France info, le journaliste Michel Eltchaninoff a quant à lui déploré le choix du dissident russe d'opter pour des méthodes «qui ne relèvent pas du tout à de l'art» : «Il y a quelques années, il dénonçait les pratiques du FSB, les services secrets russes et aujourd’hui il utilise leurs pratiques, c’est-à-dire la fabrique d'un Kompromat, un matériau compromettant et le diffuser», a-t-il affirmé. Et le journaliste d'expliquer qu'autrefois, «Piotr Pavlensky était un artiste politique très engagé, un militant anarchiste qui disait vouloir, par des mises en scène où il se faisait violence à lui-même, dénoncer la propagande qui régnait dans la Russie de Poutine, l'arbitraire et l'autoritarisme russe».
Fait notable, en pointant une présumée spécificité russe de ladite méthode, les articles susmentionnés se gardent ici de rappeler que ce genre de pratiques est loin d'être exclusivement russe. Ce type de moyen de pression serait, par exemple, une pierre angulaire de l'affaire Epstein. D'après le témoignage d'une ami de la rabatteuse Ghislaine Maxwell, le défunt pédocriminel n’aurait pas fait que procurer des jeunes filles mineures à son réseau ; il se serait en effet vanté de posséder des éléments compromettants sur un «nombre incroyable» de personnalités riches et célèbres.
Quelques années plus tôt, la complaisance pour un «opposant» à Poutine
Par le passé, lorsqu'il était seulement un activiste antigouvernemental russe, nombre de portraits élogieux de l'artiste controversé avaient vu le jour dans le paysage médiatique français. «Piotr Pavlenski, couillu», titrait par exemple le journal Libération en octobre 2016 pour présenter un «artiste-actionniste [...] aux performances automutilatoires dénon[çant] la répression étatique».
Même son de cloche dans les colonnes du Figaro quelques mois plus tôt : «Cet opposant au régime russe dénonce la censure et la répression», expliquait alors le quotidien. «Piotr Pavlenski est un artiste engagé qui se bat pour la dignité, la liberté, et contre la passivité de la société», pouvait-on encore lire sur le média en ligne StreetPress courant avril 2015.
En fin d'année 2017, l'incendie volontaire d'un bâtiment de la Banque de France – revendiqué par le réfugié politique russe – avait déjà donné lieu à une situation embarrassante sur la façon de présenter Piotr Pavlensky. «Quand Pavlenski vivait en Russie, il était vénéré comme un opposant à Poutine. Pourquoi alors, maintenant qu'il se retrouve à Fleury-Mérogis, observons-nous un silence gêné ?», s'interrogeait le Huffington Post dans un article daté du 8 décembre 2017.