Au terme d'une fraîche après-midi de marche, une quinzaine de Gilets jaunes «historiques» se retrouvent autour d'un café, le temps d'un debriefing avant de se séparer pour la journée.
Diffusée quatre jours plus tôt à la télévision, l'allocution du chef de l'Etat adressant ses vœux aux Français n'a visiblement pas captivé ces irréductibles baroudeurs au gilet fluo. Et de fait, avec ou sans l'emblématique accoutrement, quelques milliers d'entre eux sont venus battre le pavé pour le 60e samedi consécutif, le 4 janvier. Nous les avons rejoint dans le sud-est de la capitale, à Gare de Lyon.
60 actes, déjà
A la mi-journée, le ciel parisien est gris et la température avoisine les 7 degrés, à l'image de cet automne 2018 qui a vu naître le mouvement citoyen aux multiples facettes. Celle de la détermination, d'abord, quand le raz de marée jaune a, plusieurs mois durant, sévi intensément, faisant même renoncer l'exécutif à certaines de ses intentions annoncées. Celle de la répression ensuite, les blessures et ITT s'étant multipliées dans les rangs des manifestants. Celle enfin d'une solidarité inédite, le mouvement semble avoir recréé du lien social là où il se faisait rare, tant dans la France profonde qu'au sein des cortèges urbains, au premier rang desquels les rassemblements de la capitale.
A force de marches hebdomadaires, les Gilets jaunes franciliens ont appris à connaître comme leur poche la capitale. Avenues cossues, boulevards incontournables et ruelles plus discrètes... Places publiques, gares ferroviaires et couloirs tortueux du métropolitain... Voilà plus de 13 mois qu'ils arpentent Paris avec en tête l'idée de dénoncer la politique élyséenne des derniers quinquennats. Évidemment dans leur viseur, l'actuel locataire du Palais présidentiel, en prend pour son grade. «Traître à la nation», «VRP de la finance», «pantin de Bruxelles» : parmi leurs revendications, nombre de Gilets jaunes réclament, en premier lieu, le départ du plus jeune président de la cinquième République. Il n'est pas une marche jaune qui se soit déroulée sans le slogan «Macron démission». Ce 4 janvier, comme à son habitude, la Gilet jaune Fati alpague à sa façon les cordons de policiers qui quadrillent le cortège. «La France n'a pas d'autre choix que d'appliquer la politique d'austérité imposée par Bruxelles [...] Ça passe par la braderie des biens publics», s'égosille-t-elle devant un mur de CRS silencieux.
D'une gare à une autre
Epuisés mais toujours déterminés : si la fatigue s'est accumulée au fil des actes, se traduisant par une baisse de l'affluence par rapport au début du mouvement, les Gilets jaunes «historiques» de la capitale ne sont désormais plus les seuls à battre, de façon régulière, le pavé parisien. En effet, un mouvement de grève interprofessionnelle a débuté le 5 décembre 2019 face à la réforme des retraites défendue par le gouvernement. Certains Gilets jaunes n'hésitent d'ailleurs pas à se joindre aux cortèges formés par les grévistes.
Ainsi, comme lors de leurs récentes marches, les irréductibles gilets fluo ont décidé une fois de plus, en ce début d'année, de rejoindre le parcours de la manifestation lancée à l'appel des organisations syndicales.
Après deux heures de marche, le cortège arrive à la gare de l'Est, dans le Xe arrondissement. Certains forcent des grillages et pénètrent dans les infrastructures de la gare ferroviaire. Les autres se massent devant l'entrée où sont rapidement dépêchés gendarmes et CRS. La tension monte d'un cran alors que les forces de l'ordre tentent de disperser les manifestants qui ne tardent pas à se frotter les yeux et à remonter les écharpes, alors que les gorges toussent. Les téméraires du samedi se sont en effet habitués au gaz lacrymogène qui rougit le regard et rouille les voies respiratoires.
Alors que l'ambiance se tasse, la plupart des manifestants s'éparpille et quitte les lieux. Mais les téméraires du samedi ne sont pas les premiers à partir. A la barbe des cordons policiers, ils se passent le mot, main devant la bouche. Discrètement, l'appel est passé : «Tous à Gare du Nord !». Par petits groupes, les plus motivés quittent tour à tour les lieux. Pour partir, sur injonction des forces de l'ordre, ceux qui le portent doivent retirer leur gilet avant de se diriger vers le prochain point de ralliement, à quelques centaines de mètres de là.
En douce, les Gilets jaunes investissent l'imposant hall de la gare du Nord, récemment rénové et brillant de mille feux de guirlandes en cette période de fêtes. En quelques minutes à peine, une petite foule se crée et déambule à la plus grande surprise des voyageurs. «Macron démission», «on est là», «les Gilets jaunes»... Les slogans résonnent dans un vacarme pour l'heure bon enfant.
Interloqués, amusés, voyageurs, franciliens et touristes, dégainent leur smartphone pour filmer la scène. Les forces de l'ordre arrivent rapidement sur place mais comment réprimer ces manifestants joyeusement noyés au milieu de la foule ? Si l'atmosphère est relativement détendue ici à l'intérieur, au-dehors la tension monte un peu. Empêchés d’entrer dans la gare, certains veulent forcer le passage. Deux ou trois projectiles sont envoyés sur les portes fermées de la gare. Les gendarmes ripostent avec du gaz au poivre qui indispose quelques instants les voyageurs à proximité.
Pour celles et ceux qui se trouvent à l'intérieur, au terme d'une demi-heure de déambulation bon enfant, chacun rentre chez soi. Fati et ses amis de manif vont au bar le plus proche dont le nom sonne comme un clin d’œil pour ce petit groupe de Gilets jaunes : «Le baroudeur patient»...
«Salut les Gilets jaunes, faites comme chez vous, mettez les tables et les chaises comme vous voulez», leur lance le serveur. Autour de quelques bières, ils se repassent la journée. Puis ils partagent l’addition avant de se donner rendez-vous au prochain samedi.
Meriem Laribi et Fabien Rives
Découvrez notre site spécial : Gilets jaunes, 1 an : Chronique d'une révolte