Cette fois encore, la gauche apparaît divisée. Le 1er novembre, de nombreuses personnalités ont signé un texte dans Libération intitulé «Le 10 novembre, à Paris, nous dirons STOP à l’islamophobie !». Il s'agit d'un appel à manifester contre la «stigmatisation des musulmans en France», lancé par l'élu de Saint-Denis Madjid Messaoudene, la Plateforme L.e.s. Musulmans, Le Nouveau parti anticapitaliste (NPA), le Comité Adama, le Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF) ou encore l’Union nationale des étudiants de France (Unef).
«Il a fallu que cette violence jaillisse aux yeux de tous, à travers l’humiliation d’une maman et de son enfant par un élu RN au conseil général de Bourgogne-Franche-Comté, pour que tout le monde réalise ce que des associations, des universitaires, des personnalités, des syndicats, militants et au-delà, des habitants, dénoncent à juste titre depuis des années : l’islamophobie en France est une réalité», affirment les auteurs de la tribune. Parmi les points précis mentionnés, les signataires de l'appel déclarent : «STOP aux discriminations qui visent des femmes portant le foulard, provoquant leur exclusion progressive de toutes les sphères de la société.» Est dénoncé également «le silence complice des institutions étatiques chargées de lutter contre le racisme» sur les «discours racistes».
De quoi fédérer la gauche le 10 novembre ? En partie seulement. Des figures de la gauche font partie des signataires de l'appel dans Libération, tels que les anciens candidats à la présidentielle Jean-Luc Mélenchon et Benoît Hamon, l'eurodéputé écologiste, Yannick Jadot ou encore le patron de la CGT Philippe Martinez. Mais d'autres formations politiques ou personnalités de gauche ont fait savoir qu'elles ne participeraient pas à la mobilisation, ou ont exprimé leurs réserves.
Le PS ne veut pas être associé à «certains des initiateurs de l'appel»
Parmi les grands absents de la manifestation figure le Parti socialiste. «Nous ne voulons pas nous associer à certains des initiateurs de l’appel. Nous ne nous reconnaissons pas dans ses mots d’ordre qui présentent les lois laïques en vigueur comme liberticides», explique le PS dans un communiqué. «Nous nous reconnaissons au contraire dans la France républicaine où la laïcité garantit la liberté de conscience et la liberté religieuse à chacune et chacun, comme le droit de critiquer les religions», ajoute le parti. Le parti à la rose ne reprend pas non plus le terme d'«islamophobie» dans sa résolution.
Si le PS ne précise pas à quels initiateurs de l’appel il ne souhaite pas être associé, on peut supputer qu'il s'agit d'organisations ou personnalités portant une vision critique de l'universalisme et de la laïcité de la République française – loin de la tradition social-démocrate – telles que le Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF) ou des antifas d'Action antifasciste Paris banlieue (AFA).
Jadot mitigé, le Printemps républicain pourfend «la gauche du déshonneur»
Yannick Jadot, le chef de file d'Europe Ecologie - Les Verts (EELV), a signé la tribune... mais émet quelques réserves. «Je ne valide pas l'ensemble du texte», a-t-il affirmé sur France Info. «Je n'ai jamais considéré qu'il y avait un racisme d'Etat dans notre pays», a précisé l'eurodéputé écologiste.
Laurent Bouvet, cofondateur du Printemps républicain, a partagé un avis autrement plus tranché : «Cette tribune et la liste de ses signataires, c’est la gauche qui a abandonné la laïcité, la gauche du déshonneur et de la honte», a tweeté l'universitaire, ajoutant : «Une gauche qui reprend la définition de l’islamophobie imposée par les islamistes et qui leur fait la courte échelle.»
L'ancien Premier ministre socialiste Manuel Valls – désormais engagé en politique à Barcelone – a relayé le message de Laurent Bouvet sur Twitter. La tribune incarne, selon lui, «la gauche du renoncement. de l’abandon et de la honte... loin de tout esprit républicain».
Réserves et hésitations chez les Insoumis et leurs alliés
Diverses appréciations de cette tribune se dessinent au sein de La France insoumise (LFI) et de ses alliés. A l'inverse du président du groupe LFI à l'Assemblée nationale Jean-Luc Mélenchon, le député insoumis François Ruffin ne sera pas dans la rue le 10 novembre... même s'il a signé le texte. «Ce n'est pas mon truc. Je n'irai pas parce que je joue au foot, comme tous les dimanches», a-t-il déclaré au micro de France Inter. Plus encore, le fondateur du journal Fakir et réalisateur a laissé entendre qu'il n'avait guère fait attention au contenu de l'appel qu'il a signé : «J’étais à Bruxelles en train de manger des frites et des gaufres avec mes enfants», a-t-il éludé au micro de France Inter, ajoutant : «Ce n’est pas mon truc. J’étais en vacances.»
Emmanuel Maurel, animateur national du parti Gauche républicaine et socialiste et eurodéputé, faisant partie du même groupe au Parlement européen que LFI et le PCF, a lui aussi exprimé ses réserves. Selon lui, la présence du CCIF à ce rassemblement pose «problème», a-t-il expliqué dans Le Figaro. «Nous devons rester des républicains conséquents, aussi bien en matière de laïcité que d’égalité entre les hommes et les femmes. Cela passe par un refus de la tutelle de tous les clergés, aussi vigoureux que notre combat contre le racisme», martèle l'ancien socialiste.
Ce n'est pas la première fois que LFI connaît des divergences internes autour des questions sensibles de la laïcité et de l'islam. En novembre 2018, Djordje Kuzmanovic, proche de Jean-Luc Mélenchon, avait quitté le parti, dont il dénonçait le changement de ligne. Il critiquait à l'époque «les nouveaux cadres de la France insoumise, arrivés avec la marée du succès et majoritairement issus du militantisme gauchiste», en référence aux tenants d'une ligne «intersectionnelle» aux antipodes de ses convictions souverainistes et laïques.
Le journaliste et militant Taha Bouhafs a lui aussi pris ses distances avec le parti de Jean-Luc Mélenchon, mais pour une autre raison. Il a dénoncé «la dérive islamophobe de certains cadres». La gauche n'a semble-t-il pas fini de se déchirer sur le terrain de l'«islamophobie».
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