Un maire peut-il se substituer temporairement à l’Etat pour protéger la santé de ses habitants ? La question a été posée le 22 août à Rennes devant la justice par le maire de Langouët, Daniel Cueff, qui a interdit l'usage de pesticides à moins de 150 mètres des habitations par un arrêté le 18 mai. L'édile a reçu le soutien non négligeable d'Emmanuel Macron, qui a salué ses «intentions», tout en soutenant la préfecture dans sa démarche destinée à faire respecter la loi. Une posture d'équilibriste du président, qui tient visiblement à ménager la chèvre et le chou.
«Maire courage», «Madame la Préfète, Laissez nos maires nous protéger», «Pesticides, herbicides, fongicides... Quel que soit leur nom c'est pour nos poumons», pouvait-t-on lire sur les pancartes arborées par les habitants de la région venus nombreux soutenir Daniel Cueff devant le tribunal administratif de Rennes. En effet, plus de 1000 sympathisants, habitants, élus, membres d'organisations écologistes comme Extinction Rebellion ou politiques, ont fait le déplacement le 22 août.
La préfecture réclame la suspension de l'arrêté en référé, au motif qu'un maire n'est pas compétent pour prendre des décisions sur l'utilisation de produits phytosanitaires, y compris au nom du principe de précaution, car c'est un pouvoir réservé à l’État.
«C'est quoi le pouvoir d'un maire ? Un maire peut-il ignorer la santé de ses habitants ?», a lancé Daniel Cueff devant le juge, tout en rappelant qu'il n'a pas interdit les pesticides, mais instauré «une distance d'éloignement des pesticides sur une parcelle qui reste cultivable avec des produits moins dangereux».
L'élu a en outre rappelé qu'un règlement européen oblige depuis 2009 les Etats à protéger leurs habitants de l'épandage de pesticides, et que le Conseil d’Etat a partiellement annulé en juin un arrêté réglementant l'utilisation de pesticides, au motif qu'il ne protégeait pas suffisamment la santé des riverains.
Macron soutient «les intentions» du maire et... la préfète
Sur le plan politique, l'édile a appelé le juge à préserver un arrêté qui «va dans le sens de l'histoire», disant avoir reçu des «dizaines de milliers de messages» de soutien.
En plus des soutiens anonymes, Daniel Cueff a reçu de solides appuis de personnalités politiques, dont Emmanuel Macron lui-même. Une position délicate pour le chef de l'Etat qui soutient en même temps l'édile et la préfète.
Le président de la République qui dit avoir «très profondément changé» sur les questions écologiques, a en effet assuré le 23 août soutenir «dans ses intentions» le maire breton, tout en rappelant la nécessité de respecter la loi, dans une interview à Konbini.
Durant l'interview, le chef de l'Etat a été interpellé, via une vidéo enregistrée, par Daniel Cueff : «Madame la préfète de la République vient de saisir le tribunal administratif pour suspendre cet arrêté, trouvez-vous cela normal ?», lui a ainsi demandé le maire.
«Il y a des lois, elle [la préfète] doit les faire respecter, donc je serai toujours derrière les préfets qui font respecter les lois», a d'abord plaidé Emmanuel Macron avec un sourire quelque peu gêné, en estimant que «la solution n'est pas de prendre un arrêté qui n'est pas conforme à la loi» mais plutôt «de mobiliser pour changer la loi».
«Donc Monsieur le maire, il a raison sur ses motivations [...] Je le soutiens dans ses intentions», a insisté le président. «Mais je ne peux pas être d'accord quand on ne respecte pas la loi, c'est normal, et ça on va le changer vite», a-t-il promis, en évoquant la nécessité «d'avoir aussi des discussions avec les agriculteurs, les producteurs pour que ça leur permette de fonctionner, parce que tout ça a un coût pour eux».
Les soutiens de Yannick Jadot et Ségolène Royal
«On marche sur la tête : au moment où tout le monde reconnaît que les pesticides contaminent nos organismes, l’Etat défend le pire des modèles agricoles», a pour sa part estimé Yannick Jadot, chef de file d'EELV, sur BFMTV et RMC.
Ségolène Royal, ancienne ministre de l’Ecologie sous François Hollande, a elle aussi félicité le maire de Langouët . «Bravo» à un maire «courageux», «avant-gardiste», a-t-elle salué au micro de Jean-Jacques Bourdin le 23 août sur BFM TV.
Elle a ainsi appelé l’Etat à «retirer son assignation», qui plus est «au moment où les maires sont en difficulté, sont agressés, exercent leurs responsabilités».
La décision du tribunal de Rennes sera connue en début de semaine prochaine.
A ce jour, environ 20 maires en France ont pris des arrêtés limitant ou interdisant les pesticides.
D'autres affaires similaires à celle de Daniel Cueff risquent de s'ouvrir. La justice va d'ailleurs prochainement examiner à Rouen un arrêté municipal limitant l'usage des pesticides à Saint-Eloi-de-Fourques, dans l'Eure.
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