Objet de toutes les attentions lors des multiples rebondissements de l'affaire Steve, l'Inspection générale de la police nationale (IGPN, «la police des polices») voit ses méthodes et son indépendance remises en question par divers observateurs et/ou commentateurs. Le 3 août, un cabinet d'avocat allait par exemple jusqu'à proposer de «supprimer l'IGPN» au profit d'«une commission à majorité non policière».
Les détracteurs de «la police des polices» fustigent notamment son récent rapport sur l'intervention des forces de l'ordre le soir de la fête de la musique 2019 sur le quai Wilson à Nantes, lieu de la disparition du jeune Steve Maia Caniço dans la nuit du 21 au 22 juin.
De fait, en dépit des risques d'une telle intervention pointés dans un compte rendu de police datant de 2017, et révélé le 28 juillet par Mediapart, le texte de l'IGPN n'établit de son côté «pas de lien entre l'intervention de forces de police et la disparition de monsieur Steve Maia Caniço». En outre, si les auteurs du rapport estiment pour l'heure que l'intervention des forces de l'ordre «était justifiée et n'est pas apparue disproportionnée», des agents de la protection civile mobilisés sur le quai Wilson la nuit du drame, dénoncent pour leur part une «opération inappropriée», comme l'a rapporté le 3 août le quotidien nantais Presse Océan.
Empêtré dans ce que certains qualifient désormais d'«affaire d'Etat», le service d'Inspection de la police nationale française doit donc faire face à une avalanche de critiques. C'est dans ce contexte que la directrice de l’IGPN, Brigitte Jullien, et le chef de l’unité de coordination des enquêtes, David Chantreux, ont répondu aux questions de Libérationau sujet des reproches adressés à l'institution.
Interrogée sur les méthodes d'investigation à l'origine du rapport polémique, la directrice décrit notamment «une enquête administrative pré-disciplinaire [ne mobilisant] pas des moyens de police judiciaire [mais] les moyens que n’importe quelle autre administration» : «Il n’est par exemple pas possible d’accéder aux procès-verbaux de plainte. On ne peut pas non plus convoquer des tiers, ils doivent se présenter spontanément», explique-t-elle. Précision qui intervient alors que le 1er août, le quotidien Le Monde rapportait les propos d'«un témoin oublié de l'IGPN», celui-ci reprochant à l'institution de ne pas avoir pris en compte ses récriminations.
On n’est peut-être pas indépendants parce que je suis effectivement nommée par le ministre de l’Intérieur
Interrogée par Libération sur une potentielle réforme de son institution, Brigitte Jullien se montre irritée par «le procès fait en permanence à l’IGPN» sur son manque supposé de professionnalisme. Elle confie toutefois : «On n’est peut-être pas indépendants parce que je suis effectivement nommée par le ministre de l’Intérieur.»
L'IGPN traverse une période pour le moins délicate : outre l'affaire Steve, elle est chargée, depuis plusieurs mois, d'enquêter sur les comportements de policiers dans le contexte du mouvement des Gilets jaunes. Après avoir reçu 288 dossiers depuis le début de la mobilisation, «142 ont déjà été retournés au parquet», rappelle la directrice de l'institution.
Compte tenu de l'accumulation des critiques émises à son égard, se dirige-t-on vers une réforme de l'IGPN, comme certains de ses détracteurs tendent à le réclamer ? Une suppression de l'institution est-elle même une possibilité ? Cette dernière question a été abordée par la presse ces derniers jours, Les Grandes Gueules de la radio RMC en faisant, par exemple, le sujet d'un débat le 5 août.
En tout état de cause, l'institution est pour l'heure la seule qualifiée pour réaliser une multitude de missions d'audit et de contrôle au sein des services de la police nationale. Fondée en 1986, l'IGPN regroupe aujourd'hui «292 agents dont 71% de policiers», rapporte La Croix dans un article consacré au fonctionnement de «la police des polices».
A l'étranger, comme en Angleterre, le contrôle des policiers est effectué par une institution similaire, au détail près que «les enquêteurs ne sont pas policiers», précise la journaliste Justine Brabant, après avoir réalisé une enquête à ce sujet pour le site Arrêt sur images. «Comment enquête-t-on sur la police au Royaume-Uni ou au Danemark ? De manière bien plus transparente et souvent plus indépendante. L'effet sur les pratiques policières, par contre, n'est pas magique», commente le site d'investigation.
Fabien Rives