Présent sur le plateau de RT France pour l’émission La Grande Interview, Frédéric Pierucci, ancien dirigeant de filiale chez Alstom, est revenu sur son histoire : celle d’un haut-responsable d'entreprise français face au Département de la Justice américaine (DoJ).
Il explique comment il a fait l’expérience de l’extraterritorialité du droit américain. Poursuivi par le DoJ pour des faits de corruption en Indonésie, il a été arrêté à New-York et a passé au total 25 mois en prison. Victime, selon certaines analyses dont la sienne, de la guerre économique menée par les Etats-Unis contre le reste du monde, il assiste depuis sa prison au rachat d’Alstom par General Electric. Un rachat qui, selon lui, pourrait mettre en péril l’approvisionnement en électricité de la France. Il a cependant bon espoir et milite activement pour que General Electric, en difficulté financière, cède Alstom à la France.
C’est une guerre économique entre les Etats-Unis et le reste du monde
«C’est la cinquième entreprise que GE rachète dans des conditions extrêmement similaires, donc une mise en examen ou des poursuites par le DOJ contre l’entreprise, donc l’entreprise affaiblie, donc le dirigeant affaibli, donc, derrière, une reprise de ses activités par le concurrent américain», a-t-il rappelé, expliquant que «ce n’est pas une guerre commerciale entre la France et les Etats-Unis, c’est une guerre économique entre les Etats-Unis et le reste du monde […] C’est une guerre économique globale entre les Etats-Unis, la Chine et l’Europe et il n’y a pas d’amis. C’est chacun pour soi et Dieu pour tous».
L’ancien cadre du constructeur ferroviaire a semblé surpris que la procédure pour corruption se déroule aux Etats-Unis. «Il y a eu des affaires de corruption chez Alstom et Alstom a plaidé coupable d’avoir payé 75 millions de dollars de pots-de-vin sur 10 ans donc il y a eu des vraies affaires de corruption chez Alstom comme il y en a dans beaucoup de groupes. Ce qui est choquant c’est que ce soit les Etats-Unis qui poursuivent ces affaires de corruption plutôt que la France, mais aussi l’asymétrie des moyens et des cibles de DoJ sur ces affaires de corruption», a-t-il estimé. Et de s'interroger : «Les Etats-Unis ont lancé des enquêtes depuis 2010 sur le groupe Alstom […] Est-ce GE qui a profité de la mise en examen d’Alstom, ou d’une enquête sur Alstom, pour acquérir Alstom dans un moment de faiblesse en coordination avec le DoJ ?» […] Dans le livre qu'il a écrit avec le journaliste Matthieu Aron, Le piège américain, il «explique comment GE a participé à toutes ces négociations avec le DoJ, ce qu’ils ont reconnu eux-mêmes». «C’est aberrant d’avoir son concurrent à la table des négociations avec le DoJ pour des affaires de corruption», déclare-t-il.
Enfin, Frédéric Pierucci considère que la vente d’Alstom à General Electric représente une grande perte pour la France... mais aussi un danger. «Alstom a fourni toutes les turbines pour toutes les centrales nucléaires françaises donc, il y a 58 réacteurs nucléaires en France avec 58 turbines Alstom, la maintenance est faite par un groupe américain», relève, estimant par conséquent qu'il y a un «gros risque», que les Etats-Unis disposent d'«un moyen de chantage énorme» sur la France. «Pendant la deuxième guerre du Golfe par exemple, les Etats-Unis ont arrêté de nous fournir des pièces de rechange pour le porte-avions Charles De Gaulle, ce qui a mis notre porte-avions en rade […] Ils pourraient donc arrêter de nous fournir des pièces pour réparer nos turbines», a-t-il conclu.