Aux cris d'«Allah Akbar», le suspect Kobili Traoré mettait fin aux jours de la sexagénaire juive Sarah Halimi dans la nuit du 3 au 4 avril 2017 à Paris. Le 12 juillet, on apprend que des juges d'instruction estiment dans une ordonnace «plausible» l’abolition de discernement de Kobili Traoré au moment des faits, synonyme d'irresponsabilité pénale et d'abandon des poursuites. Cette hypothèse provoque la colère des parties civiles.
Selon une source proche du dossier, les magistrats, comme le prévoit la loi, vont saisir la chambre de l'instruction «pour apprécier les suites médicales et juridiques» à donner à cette affaire, qui a déclenché il y a deux ans un vif débat médiatique. Des avocats de parties civiles ont annoncé qu'ils feraient appel de l'ordonnance des juges, devant cette même chambre de l'instruction.
Le parquet de Paris avait pour sa part réclamé le 17 juin son renvoi devant une cour d'assises pour «homicide volontaire» à caractère antisémite. De son côté, «le parquet analyse cette ordonnance afin de déterminer s'il fait ou non appel», a-t-il indiqué.
Dans la nuit du 3 au 4 avril 2017 à Paris, Kobili Traoré, pris d'une «bouffée délirante», selon les experts, s'était introduit chez sa voisine Lucie Attal – aussi appelée Sarah Halimi – âgée de 65 ans, au troisième étage d'un immeuble HLM du quartier populaire de Belleville, après avoir traversé l'appartement d'une famille qui s'étaient barricadée dans une chambre.
Lançant des Allah Akbar, des insultes et des versets du coran, ce jeune musulman l'avait rouée de coups sur son balcon avant de la précipiter dans la cour.
Le meurtrier présumé aurait agi après avoir consommé de la drogue
«Nous attendons cette audience qui devrait conclure à ce que l'irresponsabilité pénale de Kobili Traoré soit définitivement reconnue», a réagi auprès de l'AFP son avocat, Thomas Bidnic. Au terme de l'enquête, trois expertises psychiatriques concordent pour dire que le jeune homme, sans antécédent psychiatrique, ne souffre pas de maladie mentale mais qu'il a agi lors d'une «bouffée délirante» provoquée par une forte consommation de cannabis. Elles divergent cependant sur la question de l'abolition ou de l'altération du discernement du jeune homme, toujours hospitalisé.
Sur ce point, les juges estiment finalement qu'il y a des «raisons plausibles» de conclure à l'abolition du discernement de Kobili Traoré, selon les termes de leur ordonnance révélée par Le Parisien, et confirmée par une source judiciaire. Le premier expert avait d'abord conclu que le discernement du suspect devait être considéré comme «altéré», mais pas «aboli», «du fait de la consommation volontaire et régulière de cannabis» dont il ne pouvait ignorer les effets, engageant ainsi sa propre responsabilité.
La contre-expertise, menée par trois médecins, concluait au contraire à l'abolition de son discernement, synonyme d'abandon des poursuites. La juge avait alors sollicité un nouveau collège d'experts dont l'avis, moins tranché, penche «plutôt classiquement vers une abolition du discernement» de Kobili Traoré, car «au moment des faits, son libre arbitre était nul».
«Cette dernière thèse sur laquelle se sont basés les juges dans leur ordonnance m'apparaît pour le moins contestable», a estimé l'avocat Francis Szpiner, avocat avec Caroline Toby des enfants de Sarah Halimi, qui réclame un «débat contradictoire» aux assises. Selon une source proche du dossier, les juges sont également allés à rebours du parquet à propos d'un autre pan sensible du dossier en écartant comme circonstance aggravante le «caractère antisémite» du meurtre.
«Je suis nullement étonné par la décision des juges», a déploré auprès de l'AFP l'avocat du beau-frère de la victime, Gilles-William Goldnadel, dénonçant une instruction «erratique». Ce dossier avait relancé un débat sur un antisémitisme dans certains quartiers populaires sous l'effet d'un islam identitaire, controverse ravivée un an plus tard par le meurtre d'une octogénaire juive à Paris, Mireille Knoll.
La qualification antisémite de ce crime avait donné lieu à un bras de fer entre la juge, qui ne l'avait pas retenue au départ, et le parquet de Paris qui la réclamait, soutenu par les représentants de la communauté juive. L'affaire avait pris une tournure politique quand le président Emmanuel Macron avait réclamé à la justice «toute la clarté» sur les faits, en présence du Premier ministre israélien en visite à Paris en juillet 2017.
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