Les enseignants, victimes des comportements déviants de leurs élèves, seraient-ils les premiers responsables de leur comportement ? A en croire l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), cette hypothèse n'est pas à écarter. Dans un rapport publié le 19 juin, l'OCDE a traité et analysé les réponses de 260 000 enseignants et chefs d’établissement interrogés dans 48 pays.
Ainsi, les enseignants français passeraient «significativement plus de temps au maintien de l’ordre dans leur classe» (17% contre 13% dans l'OCDE). Environ un tiers de nos enseignants (35%) signaleraient en outre des problèmes de discipline en classe, «comme le fait d’avoir à attendre assez longtemps que les élèves se calment au début du cours». «C’est au-dessus de la moyenne de l’OCDE (28%)», ajoute l'organisation internationale.
Des enseignants pas assez bien formés ?
Ainsi, l'OCDE estime que cela serait dû à un problème de formation. En effet, pour l'organisation internationale, «55% des enseignants ont été formés à la gestion des comportements des élèves et de la classe au cours de leur formation initiale, ce qui est nettement en dessous de la moyenne de l’OCDE (72%)». «Ils sont encore moins nombreux (22%) à se sentir bien ou très bien préparés dans ce domaine à l’issue de leur formation initiale», rappelle l'OCDE.
Pis, l'écart est flagrant en France entre les collèges avec une forte concentration d'élèves de milieux socioéconomiques défavorisés et les établissements les plus favorisés. Entre eux, il y aurait une perte par élève de 7,5 jours d'enseignement sur une année scolaire due au chahut, «soit l’équivalent de 3 minutes d’enseignement et d’apprentissage effectifs pour une séance de cours de 60 minutes».
Le problème ne viendrait-il pas d'ailleurs ?
Dans la foulée de cette étude, Le Parisien titre : «Discipline : les profs français, bonnets d'âne». LCI résume aussi l'étude ainsi : si les professeurs français sont «mauvais élèves en matière de gestion des éléments perturbateurs», «la faute» serait due «à un défaut de formation continue sur la gestion de classe».
Mais les responsabilités du désordre ne sont-elles pas éludées dans l'étude et certains médias ? Serait-ce aux professeurs de s'adapter aux comportements compliqués des élèves ? Telles sont les questions que se sont posé nombre d'enseignants après ces publications.
Les professeurs subissant violences ou écarts de comportements tirent la sonnette d'alarme depuis plusieurs années, et particulièrement ces derniers mois, notamment au moyen du hashtag #pasdevague sur les réseaux sociaux . Celui-ci entend dénoncer le silence et le manque de soutien de leur hiérarchie face aux comportements déviants.
Le système, les parents peuvent saper notre autorité. Les enfants d'aujourd'hui ne sont pas ceux d'hier
Les Stylos rouges, regroupant sur Facebook près de 70 000 membres, «majoritairement des professeurs en colère», dénoncent ainsi le bashing contre leur profession, notamment de la part du Parisien, évoquant «un article insultant». «Les profs seuls responsables du chahut ? Quid des situations précaires des familles qui ne croient plus ds le système ? Quid du #pasdevague de nos administrations qui ne nous soutiennent pas ?», interroge le collectif.
Un Stylo rouge réplique également : «Article honteux [...] Les profs ne sont pas des animateurs de colo dépassés. Le système, les parents peuvent saper notre autorité. Les enfants d'aujourd'hui ne sont pas ceux d'hier.»
Des professeurs qui se déclarent à bout, subissant la loi d'élèves caïds qui n'hésitent pas à se féliciter sur les réseaux sociaux d'avoir maltraité leur professeur. Cela semble un fait : l'autorité professorale s'est réduite comme peau de chagrin au fil des années et les enseignants semblent crier dans le vide. Le vice-président de la branche éducation CFE-CGC et professeur de philosophie René Chiche s'interrogeait déjà en octobre 2018 : «Pourquoi les élèves respecteraient les professeurs alors que ces derniers ne sont respectés ni par leur hiérarchie (qui se retourne contre eux au moindre incident), ni par les parents d'élèves professionnels (qui veulent les mettre au pas), ni par leurs ministres ?»
En mars 2019, une enquête de la Fédération des autonomes de solidarité laïque (FAS), un réseau militant étudiant «le climat scolaire», dévoilait que l'ensemble des violences contre les professeurs aurait augmenté de 7% en 2018 (en se basant sur leur nombre d'adhérents, soit 480 000). Les insultes, menaces et propos diffamatoires représenteraient les principaux conflits rencontrés à l’école.
Des professeurs victimes de parents
Dernièrement, le suicide de l'enseignant Jean Willot, 57 ans, a également suscité beaucoup d'émotion dans le monde scolaire. Près de 2 000 personnes avaient d'ailleurs marché le 31 mars dans les rues d'Eaubonne, dans le Val-d'Oise, en hommage à celui-ci.
Jean Willot, 57 ans, s'est donné la mort mi-mars après avoir appris le dépôt d'une plainte contre lui par une mère de famille pour violences aggravées sur un enfant. Après cet événement dramatique, le ministre de l'Education nationale Jean-Michel Blanquer a reconnu un «phénomène de judiciarisation des relations sociales, et de consumérisme vis-à-vis de l'école», son ministère soutenant par ailleurs à l'AFP «que l'activation de la menace était plus fréquente qu'avant».
«Dans mon école, on s'est tous fait agresser au moins une fois par un parent», témoignait alors cette directrice d'école de l'académie de Montpellier, interrogée en avril par l'agence de presse française. Julia (prénom modifié), professeure en maternelle dans une école du 18e arrondissement de Paris, semble aussi en attester, toujours auprès de l'AFP : «C'est devenu une menace assez fréquente depuis quelques années. Par exemple, il y a quelques semaines, le père d'un élève, griffé par un autre, m'a hurlé dessus au téléphone en me jurant qu'il allait porter plainte contre l'école et contre moi». Elle déclare s'être sentie «écœurée» car elle estime «se donner beaucoup de mal» pour cet élève.
Le temps des hussards noirs de la République est-il révolu ? Au cœur du système scolaire d'aujourd'hui, les professeurs demandent désormais le simple droit au respect.
Bastien Gouly
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