Députés de partis de tout l'échiquier politique, mouvements citoyens… Tous sont à pied d'œuvre pour recueillir 4 717 396 signatures de Français opposés à la privatisation d'ADP (ex-Aéroports de Paris), représentant 10% du corps électoral, en l'espace de neuf mois.
Cette proposition de référendum visant à empêcher cette privatisation avait été validée par le Conseil constitutionnel en mai. Si les promoteurs de ce référendum d’initiative partagée (RIP) réussissent leur pari, cette collecte risque de paver la voie d'un nouvel échec du président français, ou celle de la naissance d'une nouvelle contestation sociale.
Seize signataires dont le député insoumis François Ruffin, le député PCF Sébastien Jumel, la cofondatrice de Place publique Claire Nouvian, et le secrétaire national d'Europe Ecologie Les Verts (EELV) David Cormand ont lancé l’offensive avec une tribune publiée le 11 juin dans Le Monde. Ils ont évoqué une «bataille engagée» : «Pour nous [...] la démocratie, c’est la reprise en main de notre destin commun. Et il faut bien commencer par un bout, même petit : alors allons-y par le bitume des aéroports de Paris. Avant de passer à nos écoles, nos champs, nos hôpitaux, nos tribunaux, nos forêts…»
Ils exhortent à «produire une contagion de signatures, une épidémie de pétitions», en vue de l'hypothétique tenue d'un référendum. Des représentants d'ONG et des Gilets jaunes se sont également joints au mouvement.
Le Rassemblement national (RN), qui n'a pas été invité à rejoindre l'initiative, a tout de même apporté son soutien au projet. Sébastien Chenu, député du Nord cité par Le Monde, le confirmait en mai : «Ce que l’on veut, c’est qu’Emmanuel Macron soit submergé par une déferlante de signatures.»
Tempête à l'Assemblée et soirée de lancement
François Ruffin a inauguré le bal avec une diatribe contre le gouvernement à l'Assemblée nationale le 11 juin. Affirmant que le gouvernement en place avait «peur de la démocratie», il martelé : «C'est une frénésie qui doit saisir la France : référendum !»,
«monsieur le député, aucune élection, aucune votation, ne fait peur aux démocrates», lui a rétorqué le Premier ministre Édouard Philippe le même jour tout en rappelant le faible score des insoumis aux européennes.
Pourtant fin mai, le chef du gouvernement avait, selon une une information du Monde, envisagé d’allonger à trois voire quatre ans, contre un actuellement, la durée pendant laquelle une loi nouvelle ne pourrait pas être abrogée via un RIP.
Pour lancer ce mouvement d’ampleur, les promoteurs des signatures se préparent pour organiser des événements. Ainsi le 19 juin à la Bourse du travail de Saint-Denis, une «soirée de lancement de la campagne de recueil des signatures» se tiendra à l'initiative de parlementaires communistes. Des politiques d'obédiences aussi diverses que le porte-parole du Parti socialiste Boris Vallaud et le sénateur républicain Philippe Dallier vont se rassembler autour d'un objectif commun.
Quelles suites pour le RIP ?
Le RIP est un mécanisme constitutionnel, jamais utilisé jusqu'ici, qui permet en théorie à un seuil de parlementaires et de citoyens de provoquer un référendum sur un texte de loi. Si le nombre de signatures est atteint, l’Assemblée nationale et le Sénat devront tous deux, dans un délai de six mois, examiner cette proposition de loi.
Dans cette hypothèse, si les deux chambres du parlement s'en saisissaient et votaient contre – ce qui est plus que probable du fait de la majorité La République en marche à l'Assemblée nationale – tout l'effort déployé par les promoteurs du RIP serait perdu. Mais ils ne manqueraient pas de dénoncer un déni de démocratie. Auquel cas, Emmanuel Macron serait-il d'attaque pour affronter une nouvelle fronde, en pleine campagne ou à la sortie des municipales du printemps 2020 ?
Mais si Sénat et l'Assemblée nationale n'examinent pas tous deux la proposition de loi dans les six mois après sa présentation, le président devrait se résoudre à organiser un référendum.
Or selon un sondage Harris Interactive-Epoka pour LCI publié en avril dernier, le camp des opposants à la privatisation représenterait 48% des Français, contre seulement 20% de personnes favorables. Cela sonnerait le glas de la privatisation, et constituerait un revers cinglant pour l'exécutif.
Quels que soient les scénarii en cas d'obtention des signatures, le processus de privatisation est pour le moment gelé par l'initiative au moins jusque fin 2020, voire début 2021.
La vente des 50,6% de la société ADP est ardemment défendue par le gouvernement qui a utilisé des arguments parfois surprenants pour la justifier. L'ancien porte-parole du gouvernement Benjamin Griveaux estimait par exemple que l’Etat n’avait pas vocation à gérer «des baux commerciaux pour des boutiques de luxe dans des duty free», alors que cette activité ne représente que le quart du chiffre d’affaires d’ADP. Emmanuel Macron, qui avait encouragé la vente des aéroports de Toulouse en 2015, et de Nice et Lyon en 2016, lorsqu'il était ministre de l'Economie, souhaite cette privatisation controversée du groupe aéroportuaire français, prévue par la loi pour la croissance et la transformation des entreprises (Pacte), adoptée par le Parlement le 11 avril.
Le projet de privatisation d’ADP a suscité dès le départ une vive opposition avec, par exemple, une tribune signée le 25 février par 103 parlementaires LR dans Le Journal du Dimanche, puis une pétition peu médiatisée sur le site change.org. Dès octobre 2018, Nicolas Dupont-Aignan, le chef de Debout la France, avait publié, dans l'hebdomadaire Marianne une tribune intitulée «Stoppons l’escroquerie financière des privatisations de la loi Pacte !» Les médias s'en sont aussi mêlés, l'une des attaques les plus virulentes contre ce projet de privatisation venant du service public de radio-télévision. Ainsi, le 20 février, France Culture n’hésitait pas à intituler l'une de ses chroniques économiques : «Aéroports de Paris : La privatisation c’est le vol.»