Les chantiers de l'acte II du quinquennat sont lancés. Acclamé par sa majorité à plusieurs reprises, Edouard Philippe a prononcé le 12 juin sa déclaration de politique générale devant les députés. Un exercice auquel il s'était déjà confronté en juillet 2017.
En propos liminaire, le Premier ministre a affirmé qu'après deux ans de quinquennat, «il y a[vait] toujours urgence» : «Urgence économique, [...] urgence sociale, [...] urgence écologique.» «Cette urgence nous rassemble», a-t-il appuyé en tribune de l'Assemblée nationale.
«C'est l'acte II du quinquennat, une nouvelle étape qui marque une césure à travers un profond changement de méthode mais qui va de pair avec deux impératifs : la constance et la cohérence qui sont bien les seuls choses que notre pays n'ait jamais tenté», a insisté Edouard Philippe, assurant que «l'ennemi» de la France était le «statu quo».
Ecologie : moins de nucléaire, lutte contre le gaspillage
Durant son exposé d'une heure, Edouard Philippe a présenté les futurs projets gouvernementaux en débutant par «l'ambition écologique». «Ces 12 prochains mois [...] seront ceux de l'accélération écologique», a-t-il assuré en promettant la réduction de la part du nucléaire d'ici 2035 à 50% – confirmant au passage la fermeture de la centrale de Fessenheim d'ici 2020 – avec le développement, en parallèle, de l'éolien en mer.
«Nous transformerons le crédit d’impôt sur la transition énergétique», a-t-il également soutenu, constatant que celui-ci ne bénéficiait qu'aux ménages les plus aisés. Le gouvernement le modifiera ainsi en une aide plus massive pour permettre à plus de foyers d'en bénéficier. Les contours de cette idée n'ont toutefois pas été précisés.
Edouard Philippe a tenu aussi à placer au cœur de l'action gouvernementale, la fin du gaspillage. «L'une des trois priorités parlementaires de la rentrée de septembre», a-t-il garanti. Il a de fait prévenu que «tous les produits en plastique jetables seraient bannis» de l'administration à compter de 2020 pour en finir avec ces « montagnes de déchets toujours plus hautes».
Il a également envisagé l'usage du référendum pour certaines mesures écologiques, «les plus puissantes». A l'origine de ces mesures, une «convention citoyenne, [qui] constituera un moment de démocratie participative inédit,» aura justement pour objectif de formuler des propositions. Elle rendra ses conclusions début 2020, selon Edouard Philippe.
Concernant la santé publique, Edouard Philippe a attesté que le gouvernement défendrait le système d'étiquetage nutritionnel «Nutri-score» auprès de la Commission européenne pour le rendre obligatoire sur les produits.
Dégressivité des allocations chômage, incitations à travailler plus
S'attaquant ensuite au volet sensible du travail, Edouard Philippe a débuté cette partie avec une phrase qui peut rappeler un leitmotiv sarkozyste : «La justice sociale c'est de permettre à tous de travailler.»
«Nous avons donné aux entreprises plus de souplesse [et] plus de sécurité grâce à la réforme du droit du travail», a étayé Edouard Philippe qui a demandé aux entreprises, pour contreparties, de ne plus recourir abusivement aux contrats courts.
«Dans les cinq à dix secteurs d'activité qui utilisent le plus souvent ces contrats et qui génèrent de la précarité, nous instaurerons un système de bonus-malus sur les cotisations d'assurance chômage», a argumenté Edouard Philippe en expliquant qu'une «mesure transversale» serait mise en place pour les autres secteurs afin de les décourager à utiliser du contrat à durée déterminée d'usage (CDDU).
Edouard Philippe a en outre fait référence à la lutte gouvernementale contre le chômage par le biais des allocations. «Le chômage baisse [...] Nous sommes sur la bonne voie», a-t-il de fait salué.
Il faut que «le travail paie plus que l'inactivité», a asséné Edouard Philippe. Il a ainsi proposé la dégressivité de l'allocation chômage pour les salariés percevant un salaire élevé. Le Premier ministre et la ministre du travail Muriel Pénicaud présenteront la réforme le 18 juin.
Conformément à une promesse d'Emmanuel Macron, Edouard Philippe a également promis l'instauration d'une assurance chômage pour les démissionnaires et pour les travailleurs indépendants.
Moins d'impôts pour les plus démunis
«Avec le président de la République, nous avons entendu cinq sur cinq, fort et clair, le message d'exaspération fiscale que les Français nous ont adressé», a confessé le Premier ministre. Il a par exemple confirmé que la taxe d'habitation serait «intégralement supprimée» pour l'ensemble des Français : dès 2020 pour les plus démunis, lors des trois années suivantes pour le reste de la population. Il s'est par ailleurs engagé à une baisse de 350 euros d'impôt sur le revenu sur la première tranche et de 180 euros en moyenne, par foyer, sur la tranche suivante. Des réductions d'impôts qui seront approuvées dans le projet de loi de finances pour l'année prochaine, selon Edouard Philippe. Au total, il y aurait ainsi 27 milliards d'euros de réduction de la fiscalité sur les ménages sur le quinquennat. «Le réel ce sont souvent nos sous», a lancé le chef du gouvernement devant les députés.
Pour compenser ces baisses, le gouvernement va cibler des niches fiscales à supprimer, celles qui seraient «anti-écologiques», celles qui seraient «concentrées sur les très grandes entreprises» ou encore celles qui réduiraient les droits sociaux des salariés, comme la déduction forfaitaire spécifique.
La retraite, le dossier le plus sensible de l'acte II ?
«Un grand défi de notre société» c'est le vieillissement de la population, a ensuite confessé Edouard Philippe. «Nous sommes mal préparés, notre regard doit changer», a-t-il persisté. A la fin de l'année, le gouvernement proposera un projet de loi qui définira «une stratégie pour prendre en charge la dépendance».
«[Ce texte] sera l’un des grands marqueurs sociaux de ce quinquennat, peut-être l’un des plus importants», a-t-il assuré, précédant la présentation de la réforme des retraites.
Nous devons travailler plus longtemps, c'est la clé de la réussite du pays
«Notre système n'est ni simple ni juste. [...] Il pénalise les carrières courtes et hachées», a-t-il ajouté. Le haut-commissaire à la réforme des retraites Jean-Paul Delevoye présentera en juillet ses recommandations, d'après Edouard Philippe. Celles-ci définiront un nouveau système qui sera mis en place «de manière progressive». «Un euro cotisé donnera les mêmes droits pour tous [...] Ceux qui ont travaillé toute leur vie ne gagneront pas moins que 85% du SMIC», a défendu le chef du gouvernement.
Une réforme qui désavantage les fonctionnaires, dont la retraite est actuellement calculée sur leurs six derniers mois de travail ; Edouard Philippe veut donc les revaloriser : «Le nouveau mode de calcul sur l'ensemble de la carrière et sur l'ensemble de la rémunération devra nous conduire à revaloriser les profils de carrière de certaines professions, [en particuliers] les enseignants.»
Il a annoncé, sans surprise, la fin des régimes spéciaux avec l'alignement des règles, précisant que leur extinction «se fera[it] très progressivement» et en conservant «l'intégralité des droits acquis».
Il a aussi mis les pieds dans le plat en reprenant une phrase d'Emmanuel Macron : «Le président l'a affirmé : "Nous devons travailler plus longtemps, c'est la clé de la réussite du pays".»
«Continuer à partir à la retraite deux ans plus tôt que l'âge moyen des autres pays européens, c'est demander à nos enfants de financer cet écart», a-t-il justifié, tout en déclarant maintenir la possibilité de partir à 62 ans. Néanmoins, Edouard Philippe a bel et bien approuvé que des incitations seraient mises en œuvre pour que les Français puissent partir après cet âge-là. «Nous définirons un âge d'équilibre», a-t-il poursuivi, sans énoncer un âge précis de retraite à taux plein.
«Ainsi, chacun pourra faire son choix, en liberté et en responsabilité», a-t-il certifié, sans donner, non plus, de date sur cette prochaine réforme des retraites.
Vers un Schengen II ?
Tout autre sujet, Edouard Philippe a dévoilé que le gouvernement organiserait un débat annuel au Parlement sur les orientations de la politique d’immigration et d’asile. Le premier aura lieu en septembre. A ce titre, il a annoncé que le gouvernement soutiendrait un projet de refondation complète de Schengen au niveau de l'Union européenne. Sur la sécurité nationale, il a confié que «durant les 12 prochains mois, [la] priorité sera[it] de combattre le trafic de stupéfiants».
Sociétal : la PMA pour les couples de femmes, c'est pour bientôt !
Edouard Philippe a par ailleurs confirmé une autre promesse d'Emmanuel Macron : le recours à la procréation médicalement assistée (PMA) pour les couples de femmes. Le projet de loi bioéthique, qui comprend l'extension de la PMA, sera examiné à l'Assemblée dès la fin septembre. «Je suis persuadé que nous pouvons atteindre une forme de débat serein, profond, sérieux, à la hauteur des exigences de notre pays. C'est mon ambition en tout cas», a professé le Premier ministre, recevant une ovation d'une partie de l'hémicycle.
Réformes constitutionnelles : une pique contre le Sénat, un référendum à venir ?
Dernier gros dossier décrit par Edouard Philippe : la réforme de l'Etat. Il a précisé quelques grandes lignes dont «l'autorisation à la différenciation» des territoires, la transformation du Cese (Conseil économique, social et environnemental) ou encore la facilitation du recours au Référendum d'initiative partagée (RIP). Il a annoncé avoir revu à la baisse la réduction des parlementaires à un quart, plutôt qu'un tiers comme cela était initialement prévu par la réforme lancée l'été 2017 puis stoppée par l'affaire Benalla à l'été 2018. Ce dernier point est particulièrement l'objet de désaccords avec le Sénat. Il s'est d'ailleurs montré plutôt caustique à l'égard de la chambre haute du Parlement.
«Le Sénat a été très clair sur le fait qu'il n'y aurait d'accord sur rien, s'il n'y avait pas un accord sur tout», a-t-il regretté. «Nous allons donc continuer à nous rapprocher mais nous ne mobiliserons pas du temps parlementaire pour, in fine, constater le désaccord du Sénat», a-t-il continué, jouant la prudence afin d'éviter un (nouveau) conflit politique avec le Sénat. Ainsi, il a préféré temporiser, quitte à repousser la réforme des institutions pour fin 2020 : «Nous attendrons le moment propice et la manifestation de volonté du Sénat, qui peut-être ne viendra qu'après le renouvellement de la haute chambre en 2020.» Le Sénat étant actuellement dominé par une majorité de Républicains, Edouard Philippe et les macronistes espèrent sans doute un renouvellement plus... centriste, à l'image de l'Assemblée nationale depuis juin 2017.
«Le président a aussi la faculté de pouvoir interroger directement les Français sur la réduction du nombre de parlementaires», a-t-il laissé supposer.
A la fin de son discours, comme pour se convaincre de leur ambition, Edouard Philippe a regardé sa majorité en les réconfortant : «Nous sommes et nous demeurerons des réformateurs.» «Mais nous devons davantage associer les Français à la fabrique de nos décisions», a-t-il prolongé, en vantant le développement de la démocratie directe. L'acte II sera-t-il référendaire ? D'autres Grands débats émergeront-ils ? En clair : le changement de méthode sera-t-il visible et concret pour les concitoyens ?
Lors du vote de confiance à l'Assemblée, Edouard Philippe a en tout cas obtenu 363 voix, soit une large majorité. Ce score est toutefois en très léger recul par rapport à 2017 (370 voix).
Bastien Gouly