La tension monte au sein de La France insoumise après la déconvenue des européennes (seulement 6,31% des suffrages). Cette fois-ci, la bataille n'est pas idéologique ; elle concerne la démocratie au sein du mouvement. Une note interne de cinq pages, signée par quarante-deux militants de La France insoumise (LFI) a été rendue publique le 6 juin par Le Monde. Les signataires, dont font partie des cadres de LFI comme Charlotte Girard, l'ont intitulée : «Repenser le fonctionnement de La France insoumise».
Déplorant les départs de militants depuis l'élection présidentielle de 2017, ces insoumis en colère constatent des échecs dus «en grande partie au mode de fonctionnement du mouvement depuis sa création». Et la note de critiquer «une grande verticalité en termes de décisions collectives». D'aucuns pourraient voir ici une pique directe contre le chef de file des insoumis à l'Assemblée nationale, Jean-Luc Mélenchon, voire de son bras droit – fraîchement élu député européen – Manuel Bompard.
«Faux», répond Guillaume Quintin, ancien candidat aux législatives dans les Yvelines, passablement remonté sur Twitter contre les médias ayant, selon lui, choisi d'orienter leur analyse de ladite note. «C'est ignominieux et c'est factuellement faux», insiste-t-il. De fait, ni Jean-Luc Mélenchon ni Manuel Bombard ne sont mentionnés dans la note que RT France a pu se procurer. «Jean-Luc Mélenchon ce n'est pas un leader, c'est un porte-voix, et le meilleur de tout le marché actuel !», argumente Guillaume Quintin. S'il assure souscrire à la majorité des propos tenus dans la note, il n'est pas en accord avec elle sur plusieurs points. «Il n’y a pas de verticalité au sein de La France insoumise, car pour qu'il y ait verticalité, il faudrait qu'il y ait des structures, or il n'y a pas de structures dans La France insoumise», explique-t-il, ajoutant que c'est ce qui fait la force de son parti.
Un fonctionnement mis en cause
Pourtant, c'est bien son fonctionnement que les auteurs de la note reprochent à leur parti. S'ils reconnaissent que les militants peuvent être consultés, voire impliqués dans le travail national, ils regrettent que le mouvement n'ait jamais mis en place une «véritable instance de décision collective ayant une base démocratique» : «Les évolutions attendues par beaucoup en termes de fonctionnement démocratique ne sont pas arrivées. Nous sommes nombreux à avoir été consternés, et sans instance pour en parler, de voir que, le temps passant, aucun processus de structuration démocratique n’était engagé.»
La maison brûle, il faut agir
Alors que LFI soutient une démocratie plus poussée avec une VIe République et le référendum d'initiative citoyenne, les critiques à l'encontre de son prétendu manque de démocratie en interne pourraient faire tache, d'autant que le contexte politique n'est pas favorable. «La maison brûle, il faut agir», s'alarme même le texte, qui va jusqu'à évoquer le risque de ne pas présenter de listes aux municipales, au regard de l'étiolement du mouvement.
«Il ne faut pas confondre l'objectif et les moyens, La France insoumise est un mouvement éminemment démocratique parce que son objectif est l'avènement de la démocratie», martèle Guillaume Quintin. Des propos qui font échos à ceux que tient régulièrement Jean-Luc Mélenchon, qui rappelle volontiers que LFI n'est «pas un parti» mais un outil politique «gazeux».
Thomas Guénolé attaque Le France insoumise en justice
Nul doute, LFI vit ses heures les plus délicates de sa courte histoire. Le jour même où cette note explosive fuitait dans la presse, Thomas Guénolé annonçait qu'il portait contre le mouvement auprès du parquet de Paris.
La France insoumise l'avait exclu en avril de sa liste pour les élections européennes en le mettant en cause pour «harcèlement sexuel». Dans une tribune, Thomas Guénolé dénonçait alors «les méthodes staliniennes» de l'organisation.
Dans sa plainte, rendue publique le 6 juin, il poursuit LFI «pour avoir organisé [...] une procédure accusatoire violant les droits de l’Homme, avec pour but manifeste de salir [s]a réputation». Thomas Guénolé ajoute que «ce sera le procès de l’appareil central de LFI qui, derrière les grands discours, dans ses propres pratiques, n’hésite pas à piétiner les droits humains fondamentaux pour broyer et déshonorer un homme».
En réalité, si le couvercle explose aujourd'hui, la marmite bouillait depuis un moment au sein de LFI. Le 15 janvier 2019, Charlotte Girard et plusieurs de ses camarades avaient signé une lettre pour dénoncer le sort réservé à certains membres, mis à l'écart du mouvement et des européennes, comme François Cocq, traité de «nationaliste» par Jean-Luc Mélenchon. «La méthode consistant à prononcer publiquement le "bannissement" d’un membre fondateur de La France insoumise, qui plus est orateur national et bénéficiant d’une large reconnaissance dans le mouvement, est non seulement préoccupante par sa brutalité, mais dangereuse pour ce qu’elle signifie politiquement : la possibilité de disposer unilatéralement du sort politique d’un camarade hors de tout cadre collectif», pouvait-on lire dans cette lettre. Quelques semaines auparavant, fin novembre 2018, c'était l'un des conseillers sur les questions internationales, Djordje Kuzmanovic, qui avait claqué la porte du mouvement en fustigeant le manque de clarté institutionnelle dans La France insoumise.
L'Assemblée représentative du 23 juin devrait être l'occasion pour La France insoumise de laver le linge sale en famille. En attendant, les regards se tournent vers Jean-Luc Mélenchon, qui a annoncé une prise de parole prochaine. Celui-ci est en relatif retrait médiatique depuis le soir des européennes, «le temps que la poussière retombe.»
Bastien Gouly