Evoqué comme un «grand blabla» par l'opposition de gauche à droite, le grand débat national a été salué comme un succès par l'exécutif et les figures de La République en marche (LREM).
Sauf que les chiffres de la participation sur la plateforme en ligne peuvent induire en erreur : selon les statistiques présentées le 8 avril par le site du grand débat, environ 500 000 contributeurs seraient responsables de près de 1,9 millions de contributions.
Les premières conclusions s’avéreraient elles aussi biaisées. Les Décodeurs du Monde ont ainsi noté que «certains contributeurs ont copié et collé des dizaines (voire des centaines) de fois leur texte», que «plus de la moitié des textes rédigés comportent moins de dix mots» ou encore que «plus de la moitié des textes rédigés sont en fait des doublons».
En conséquence, concernant les 506 000 contributeurs annoncés, le quotidien n'en a en fait comptabilisé que 255 003 qui auraient «pris la plume» sur les questions ouvertes en écrivant un texte et en ne se limitant donc pas aux questions à choix multiples. «Parmi [ces 255 003 personnes], 135 684 contributeurs n’ont répondu qu’à un seul des grands thèmes», précise Le Monde.
Preuve que certains activistes ont par ailleurs souhaité faire gonfler les chiffres de la plateforme, Les Décodeurs ont noté que le participant le plus actif avait «déposé 472 contributions, pour plus de 11 000 textes écrits dans les champs de libre expression». Le journal ajoute que les écrits des contributeurs les plus motivés «s’avèrent, au mieux, des copies».
Une analyse qui ne surprend guère. Un mois après l'ouverture du site du grand débat, nous avions pu démontrer qu'il était facile de créer des comptes anonymes et de multiplier les contributions. Il suffisait de changer légèrement le titre de l'une d'entre elle et de copier intégralement le contenu d'une autre.
D'ailleurs, nous avions remarqué, comme de nombreux confrères, l'orientation des questions, permettant de guider l'internaute vers une politique précise (par exemple, la baisse de la dépense publique, considérée comme évidente).
Seuls 10% de Français voudraient la restauration de l'ISF ?
Aussi, lorsque l'institut OpinionWay – chargé par le gouvernement de synthétiser les écrits du site internet – annonce que seuls 10,3% des internautes demandent le retour de l'Impôt sur la fortune (ISF), peut-on se demander si le questionnaire n'a pas été orienté afin que ce sujet ne devienne pas une revendication principale de ses participants.
Peu après la restitution du grand débat le 8 avril, pour l'un de ses animateurs, Sébastien Lecornu, également ministre chargé des Collectivités territoriales, l'ISF s'est «dilué avec d’autres préoccupations». Sébastien Lecornu reconnaît tout de même sur France inter que, sur «les cahiers», l'ISF ressort bel et bien «massivement». En effet, comme Sébastien Lecornu l'indique, OpinionWay n'a traité que la plateforme en ligne et non les doléances exprimées par écrit, notamment dans les cahiers mis à disposition dans les mairies pour le grand débat, afin de fixer son estimation. Néanmoins, à lire les premières analyses dans les médias, tels que LCI, L'Internaute ou Le Figaro, le chiffre de 10% est souvent représenté comme une preuve que les revendications des Gilets jaunes ne sont pas en concordance avec celles des Français.
Or, selon des sondages nationaux récents, plus de 70% des Français se disent au contraire favorables au retour de l'ISF.
Marianne relève que «ce chiffre de 10% [sur l'ISF] doit en tout cas grandement arranger Edouard Philippe puisque ce dernier a déjà fait savoir qu'il ne reviendrait pas sur l'enterrement de l'ISF». Et Marianne d'expliquer les raisons d'un chiffre aussi bas : premièrement, les questionnaires de la plateforme ne posaient aucune question sur l'ISF. Deuxièmement, le magazine ajoute que «deux questions "ouvertes" permettaient de parler de l'ISF si on le souhaitait ("Que faudrait-il faire pour rendre la fiscalité plus juste et plus efficace ?" et "Y a-t-il d'autres points sur les impôts et les dépenses sur lesquels vous souhaiteriez vous exprimer ?")... mais il fallait donc que l'internaute pense de lui-même à parler de l'ISF».
En d'autres termes, l'exécutif ne va-t-il pas se servir de certaines conclusions contestables du grand débat pour justifier la légitimité de son cap politique ?