Un cas d'école. Une organisation non-gouvernementale (ONG) spécialisée dans le cybermilitantisme, Avaaz, a publié le 12 mars une enquête sur la propagation des fake news en relation avec les Gilets jaunes.
Avaaz, basée aux Etats-Unis, a précédemment bénéficié d'un financement de George Soros et se pose notamment comme objectif de responsabiliser les plateformes afin de lutter contre les fake news. Avaaz soutient souvent des causes considérées comme progressistes, telles que des appels à une action mondiale contre le changement climatique, à la lutte contre les pesticides ou à des politiques d'ouverture en faveur des réfugiés. En outre, lors des manifestations pour l'élection présidentielle iranienne de 2009, Avaaz avait configuré des serveurs proxy pour permettre aux manifestants de télécharger des vidéos sur des sites Web publics. Avaaz a par ailleurs soutenu le soulèvement civil ayant précédé la guerre civile syrienne.
Mais revenons-en à l'étude. Tout d'abord, le titre de l'étude, «Les Gilets jaunes noyés par les fake news», laisse présager que l'analyse a un point de vue biaisé puisque – malgré les cas ponctuels de fake news propagés durant le mouvement des Gilets jaunes – la mobilisation, en elle-même, n'a pas débuté sur une fake news : la hausse de la taxation sur les carburants est considérée par de nombreux commentateurs comme la goutte d'eau qui a fait déborder le vase de la colère. La photo de couverture de l'enquête d'Avaaz est elle aussi anxiogène, montrant une marionnette et des visages horrifiés sous un fond jaune. Avaaz n'a donc pas fait dans la dentelle.
Il faut malgré tout reconnaître que l'analyse des fake news ne repose sur aucun mensonge. L'ONG reprend effectivement quelques cas de fake news diffusés çà et là sur les réseaux sociaux au fil des mobilisations. RT France, média rigoureux, n'est évidemment pas accusé de tels travers. Néanmoins, petit problème et non des moindres : RT France est mis en avant par Avaaz comme le média dominant sur YouTube au cours de la mobilisation des Gilets jaunes. «RT France est la chaîne la plus regardée en termes de vidéos sur les Gilets jaunes en France», précise l'étude.
De là à faire un lien, quoi que sans fondement, entre fake news et le succès de RT France, il n'y a qu'un pas. Logiquement, Avaaz ne mentionne à aucun moment une seule fake news qui aurait été produite par la plateforme RT France.
Après la publication de son enquête, Avaaz en appelle à une réaction de l'Union européenne, en adressant un message au président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker ou à la commissaire européenne à l'Economie et à la Société numériques Mariya Gabriel.
Sur les réseaux, Avaaz a semble-t-il réussi son coup. Certains internautes faisant le parallèle entre fake news et succès de RT France. D'autres, n'hésitant pas à aller plus loin : il y aurait une ingérence russe...
Il n'en fallait cependant pas moins à l'AFP pour rebondir sur l’ambiguïté qu'avait laissé planer Avaaz.
L'AFP prend le relai
Avec pour titre «Plus de 100 millions de vues pour les "infox" liées aux "gilets jaunes" (ONG)», l'AFP reprend l'étude tout en suggérant, toujours de manière détournée, un lien supposé entre fake news et RT France.
Ainsi, après avoir détaillé les principales fausses informations relayées sur les réseaux sociaux au cours des différents actes des Gilets jaunes, l'AFP écrit ceci : «Avaaz a par ailleurs calculé que la chaîne publique russe RT France, dont les vidéos des manifestations de "gilets jaunes" ont connu un grand succès au sein du mouvement, a été la chaîne la plus consultée pour ce type de vidéos, puisqu'elle a accumulé "plus du double des vues engrangées par Le Monde, L'Obs, Le Huffington Post, Le Figaro et France 24 combinés.» Quand l'AFP écrit les mots «ce type de vidéos», l'agence se garde bien de lever l’ambiguïté : voudrait-elle insinuer que RT France produit des vidéos pouvant être qualifiées de fake news ?
L'AFP se permet d'ailleurs de conclure, évoquant de nouveau les fausses informations : «L'ONG basée aux Etats-Unis et spécialisée dans le militantisme en ligne a lancé une campagne baptisée "Correct the record" ("Des rectificatifs pour les infox"), qui vise à obliger Facebook à signaler systématiquement à tous ceux qui les ont visionnés les contenus qui sont été identifiés comme étant faux par des services de fact-checking.»
En somme, la dépêche de l'AFP glisse une argumentation sur le succès de RT France au milieu d'un raisonnement évoquant les fake news. Une cohérence journalistique plus que critiquable.
Plus grave : plusieurs médias de renom, tels que Ouest-France, 20 minutes, Europe 1, Sud Ouest, Le Tempsou Orange actualités ont repris la dépêche presque telle quelle (avec parfois un titre légèrement modifié), sans réfléchir au fait qu'il n'existait aucun lien entre RT France et les fake news. Enfin, n'est-il pas étonnant de constater que ni Avaaz, ni l'AFP, ni la presse française en question ne se sont intéressés à certains propagateurs influents de fake news ?Certains "marcheurs" ont, en effet, été pris la main dans le sac en train de relayer de véritables fake news pour discréditer les Gilets jaunes...