Le 9 janvier, la nouvelle tombe : Chantal Jouanno, désignée un temps pour diriger le grand débat national, outil vanté et choisi par Emmanuel Macron pour tenter de désamorcer la colère des Gilets jaunes, jette l’éponge. Très vite, les commentateurs expliquent que ce renoncement de la présidente de la Commission nationale du débat public (CNDP) est notamment lié à sa rémunération. Le salaire de 14 666,66 euros bruts mensuel pour 2019 de cette ancienne ministre des Sports avait en effet suscité l’ire d’une grande partie de l’opposition, mais surtout des Gilets jaunes dont les revendications concernent, entre autres, la revalorisation du pouvoir d’achat. Mais cette thèse, certes plausible, explique-t-elle pour autant ce retrait forcé ?
Selon Mediapart, la raison est toute autre : dans un article publié le 26 janvier, le site d’investigation, «document et courriels confidentiels» à l’appui, révèle que Chantal Jouanno et l’exécutif avaient de profondes divergences sur la manière dont devait être mené le grand débat. Des différences de vues irréconciliables qui seraient donc à l’origine de la démission.
L'exécutif aurait-il eu peur de ne pas fixer des «lignes rouges»?
Dans cette enquête, on apprend que l’origine de ce désistement est liée principalement au différend qui a opposé Chantal Jouanno et l’exécutif sur le rôle de la CNDP dans la conduite du grand débat national. L’Elysée et Matignon souhaitaient en effet que l’ancienne sénatrice UDI prenne l’engagement de «poursuivre à titre personnel le pilotage du Grand débat national». Une demande à laquelle elle s'est catégoriquement opposée. Pour l'ex-Secrétaire d'État chargée de l'Écologie, seule la CNDP était en mesure de garantir la «neutralité» du débat.
Dans cette optique, Chantal Jouanno avait formulé le 18 décembre quelques préconisations dans une lettre adressée au gouvernement : «Pendant le Grand débat national, les membres du gouvernement comme les parlementaires doivent s’engager à adopter une posture d’écoute active […]. La posture d’écoute active implique de ne jamais prononcer de discours en ouverture, en clôture ou depuis une estrade, mais de répondre éventuellement aux questions posées.»
En outre, elle avait «fortement» déconseillé au gouvernement «de préciser publiquement avant le débat les "lignes rouges", c’est-à-dire les propositions que le gouvernement refusera quoi qu’il advienne de prendre en compte, et plus encore les sujets dont il ne veut pas débattre».
Une démission maintes fois retardée
Face à la surdité de l'Elysée quant à sa demande, Chantal Jouanno décide le 21 décembre de ne plus assumer la mission. «Le Cabinet du président de la République a confirmé que la CNDP n’assurera pas le pilotage opérationnel du Grand débat national, ni sa restitution», écrit-elle.
Et de poursuivre : «Le gouvernement a affiché sa volonté d’être le réceptacle de ce débat, sans instance tierce [...] Le cabinet du président de la République m’a demandé de poursuivre à titre personnel le pilotage de l’organisation du Grand débat national […] Après réflexion et compte tenu des échanges avec les membres de la commission, je ne peux accepter cette mission, même à titre personnel. Celle-ci n’est en effet pas détachable de l’objet même de la CNDP. Il ne serait pas compréhensible, ni justifiable, que la présidente de l’autorité administrative indépendante chargée de garantir le droit à la participation ne s’appuie pas sur celle-ci pour garantir le Grand débat national […] Ainsi, je regrette de ne pouvoir donner une suite favorable à cette proposition et souhaite que ce Grand débat national soit une belle occasionpour réconcilier la Nation et un bel exemple d’exercice démocratique.»
«Ne fais pas cela ! Tu vas nous ruiner. On va trouver une solution»
La lettre fait l’effet d’une bombe à Matignon. «Ne fais pas cela ! Tu vas nous ruiner. On va trouver une solution…», lui conjure dans un SMS Benoît Ribadeau-Dumas, directeur de cabinet du Premier ministre. Chantal Jouanno revient un temps sur sa décision, puis voyant toujours que la CNDP ne serait pas au cœur du dispositif dans le pilotage du grand débat national, elle finit par abandonner, au lendemain de la révélation, le 7 janvier, de sa rémunération par le site d'actualités politiques Lettre A.
Le surlendemain, elle annonce publiquement qu'elle n’est plus en charge de la direction du grand débat national. Après avoir observé un devoir de réserve, le 25 janvier, sur LCI, dans un ultime baroud, elle critique vertement la conception définitive du grand débat, articulé en quatre thèmes. Le qualifiant de «faussé», elle a en outre estimé que la méthode arrêtée par le gouvernement s’apparentait à «opération de communication».
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