Emmanuel Macron, dans sa discussion avec les Français lors du Grand débat national à Bourg-de-Péage, dans la Drôme, le 24 janvier, a avoué qu'il n'envisageait pas la sortie du glyphosate d'ici trois ans. Il s'était pourtant engagé en 2017 à supprimer l'utilisation du composant présent dans le Round-up, un herbicide créé par le géant Monsanto, suspecté d'être cancérogène pour l'homme.
On ne peut pas dire qu'il n'y aura plus de glyphosate dans trois ans
«Le glyphosate, je suis pour qu'on en sorte, avec les bonnes alternatives. On ne peut pas dire qu'il n'y aura plus de glyphosate dans trois ans. Si je vous disais ça, c'est simple, je tue certaines filières», a-t-il affirmé devant les 250 personnes participant au débat.
Le président français s'est félicité d'avoir fait évoluer certains des défenseurs de ce pesticide. «Et de l'autre côté, il y en a qui ne voulaient pas bouger du tout. On a réussi à faire bouger beaucoup de gens». Il a en outre évoqué un «contrat de confiance» et promis d'aider «ceux qui bougent».
Si on n’annonce qu’on y arrivera pas, c’est l’abandon d’un objectif présidentiel
Cette sortie du président français a été corroborée par des propos du ministre de l'Agriculture, Didier Guillaume, le 25 janvier. «La sortie du glyphosate sera réalisée à 80% au 1er janvier 2021», a-t-il confirmé.
«Il faut impulser une dynamique. La recherche agronomique dit que c’est déjà possible à 90%. En deux ans, on peut réduire ces 10%. Si on annonce qu’on y arrivera pas, c’est l’abandon d’un objectif présidentiel», explique François Veillerette, directeur de l’association environnementale Générations futures.
Enième recul sur un dossier tourmenté rencontrant l'opposition des agriculteurs
Un propos présidentiel qui contraste avec celui de novembre 2017, au moment du renouvellement de l'autorisation de cet herbicide à la majorité qualifiée des Etats membres de l'Union européenne. Emmanuel Macron avait alors tweeté : «J’ai demandé au gouvernement de prendre les dispositions nécessaires pour que l’utilisation du glyphosate soit interdite en France dès que des alternatives auront été trouvées, et au plus tard dans 3 ans.»
En revanche, ces propos semblent plutôt alignés sur le refus, en septembre 2018, d'inscrire l’interdiction du glyphosate dans la loi agriculture et alimentation. Certains annonçaient déjà que cette reculade présageait d'atermoiements à venir dans un dossier réputé impopulaire chez les agriculteurs.
De nombreuses personnalités politiques ont réagi avec colère en apprenant ce nouveau recul du président. Le Premier secrétaire du Parti socialiste (PS) Olivier Faure a tweeté : «Macron annonce que la France ne tiendra pas son engagement.»
«On comprend mieux maintenant pourquoi il ne fallait pas inscrire dans la loi la sortie du glyphosate», observe Ugo Bernalicis, député la France insoumise (LFI).
L'eurodéputé écologiste Europe-Ecologie-Les Verts (EELV) Yannick Jadot a fustigé l'«affligeante capacité à trahir avec aplomb» du président de la République.
La sortie du glyphosate est-elle vraiment envisageable ?
La question du pourcentage interloque François Veillerette, directeur de l'association environnementale Générations futures. Selon lui l'INRA, qui a produit un rapport sur les «Usages et alternatives au glyphosate dans l'agriculture française» en décembre 2017, avait évalué à 90% la possibilité de supprimer ce composé. Evoquant des techniques de désherbage et de travail du sol, le rapport précise que ces leviers «sont donc possibles et même économiquement viables quand ils sont réfléchis avec l’optique d’un couplage des interventions pour en limiter le surcoût, et dans une réflexion à l’échelle du système de culture».
«Il y a beaucoup d'agriculteurs qui font déjà sans glyphosate», explique François Veillerette. «Cet herbicide est très répandu car il est très efficace, pas cher, il fait gagner du temps, et donc de l'argent. On ne va pas trouver demain un autre herbicide aussi efficace, aussi peu cher, ça n’existe pas. Il faut apporter des réponses agronomiques : rotation des cultures, couverts végétaux, labours du sol superficiels... et des réponses techniques complexes. Il faut du matériel, surtout sur des tailles d'exploitation très importantes. Les produits chimiques ont remplacé les hommes, remettre des humains dans l’agriculture, ça a un coût», poursuit-il.
Il y aura un surcoût, et alors ? C’est une question de santé publique
«Macron a juste dit qu'il voulait sortir du glyphosate dans trois ans, sans y mettre une condition financière. Il y aura un surcoût, et alors ? C’est une question de santé publique, et pendant ce temps, Didier Guillaume dit que si l'on fait 80% c’est déjà miraculeux», constate François Veillerette.
Pour lui, ce recul politique sera contesté devant les tribunaux. «Pour nous les ONG, il reste la voie juridique, qui considère l’ensemble des études sur le glyphosate. Il faut savoir que les agences d’homologation européennes des produits expurgent les trois quarts des études universitaires validées par des pairs des dossiers, pour des raisons de critères ultra restrictifs. Alors ne figurent dans le dossier quasiment que les recherches apportées par les industriels. La justice demande quant à elle toutes les études, et se trouve donc très surprise que les autorisations de mise sur le marché soient délivrées.»
En effet, le tribunal administratif de Lyon, saisi par le Comité de recherche et d'information indépendantes sur le génie génétique (CRIIGEN), avait annulé mardi 15 janvier l'autorisation délivrée pour la catégorie Roundup Pro 360. La justice a estimé qu'il devait «être considéré comme une substance dont le potentiel cancérogène pour l'être humain [était] supposé».