Le gouvernement a le sens du suspense. A quelques heures du lancement du grand débat national, initiative contestée promise par Emmanuel Macron afin de tenter de mettre un terme à la révolte des Gilets jaunes, Matignon a annoncé le soir du 14 janvier que cinq «garants», censés assurer l'«indépendance» de l'initiative, allaient être nommés le 18 janvier. Ceux-ci devraient agir en parallèle aux deux membres de l'exécutif chargés de chapeauter le débat.
Des «personnalités indépendantes» désignées... mais par qui ?
Si l'incertitude demeure sur les noms des cinq garants, après des rumeurs annoncées dans la journée puis démenties par l'exécutif, les modalités de désignation se précisent. Cité par l'AFP, le cabinet du Premier ministre Edouard Philippe a fait savoir que deux de ces cinq personnes seraient désignées par le gouvernement. Un autre garant d'«indépendance» sera choisi par Richard Ferrand, président de l'Assemblée nationale, ancien président du groupe LREM à l'Assemblée et compagnon de route d'Emmanuel Macron dès 2016. Les deux derniers élus seront désignés par Patrick Bernasconi, président du Conseil économique, social et environnemental et ancien membre du bureau exécutif du MEDEF, et par le président du Sénat Gérard Larcher (LR).
Le mode de désignation des cinq garants n'a pas empêché le Premier ministre Edouard Philippe de se féliciter de l'ouverture du grand débat. «C'est un exercice inédit qui doit permettre aux Français de dire ce qu'ils souhaitent. Il faut que ce soit bien organisé, avec des principes de transparence et d'impartialité», a-t-il déclaré dans la cour de Matignon après la diffusion du communiqué.
Edouard Philippe a ajouté que le gouvernement allait également proposer «à toutes les formations politiques représentées à l’Assemblée nationale ou au Sénat» de participer à un «comité de suivi, chargé de veiller au plein respect du principe de pluralisme».
Pas de «contrôle» du gouvernement sur le Grand débat national... selon la secrétaire d'Etat Emmanuelle Wargon
Choisie, au côté du ministre chargé des Collectivités territoriales Sébastien Lecornu, afin d'animer le Grand débat national après le retrait fracassant de Chantal Jouanno, le secrétaire d’Etat auprès du ministre de la transition écologique, Emmanuelle Wargon a martelé le 14 janvier : «Le débat n'est pas placé sous contrôle de deux membres du gouvernement.»
«Il faut séparer deux missions qui sont très différentes, une mission d'animation et un rôle de garant pour garantir l'impartialité, la neutralité et la qualité de la restitution», a-t-elle encore argumenté, alors que la Commission nationale du débat public (CNDP) devait assumer les deux rôles avant que sa mission prenne fin en raison du fiasco de Chantal Jouanno.
Un dispositif trop complexe et peu lisible ?
Pour autant, le grand débat national qu'Emmanuel Macron doit lancer le 15 janvier depuis Grand Bourgtheroulde, petite ville pittoresque de l'Eure aux rues soignées, paraît déjà grevé par le flou et la complexité d'un dispositif fixé et bordé par l'exécutif. Signe de l'urgence dans laquelle l'exécutif donne l'impression de travailler, ce 14 janvier au matin, soit à la veille du débat, aucune annonce n'avait été faite officiellement quant au successeur de Chantal Jouanno.
En outre, le grand débat repose en grande partie sur la bonne volonté des maires, pourtant échaudés par l'annonce de la suppression de la taxe d'habitation. Ce sont pourtant ces mêmes maires – 600 seront présents à Grand Bourgtheroulde aux côtés d'Emmanuel Macron – qui se chargeront de transmettre les fameux cahiers de doléances de leurs administrés.
Jusqu'au 15 mars, le chef de l'Etat devrait multiplier les déplacements en France pour des «réunions d'initiatives locales» organisées «à l'initiative de maires ou de citoyens». En parallèle, les citoyens pourront, dès le 21 janvier, déposer des contributions sur le site www.granddebat.fr.
Toutes proportions gardées, un sondage réalisé par OpinionWay ce même 14 janvier indique une certaine perplexité des Français à l'égard de l'initiative d'Emmanuel Macron face à la quasi-insurrection des Gilets jaunes. Selon cette enquête d'opinion, plus d'un Français sur deux – 52% – n'a pas l'intention de participer à l'exercice. Si 39% des Français considéreraient qu'il s'agit d'un «moyen de faire passer un message» au gouvernement, ils seraient 67% à considérer que le débat ne permettra pas de sortir de la crise des Gilets jaunes. Malgré ses couacs et une communication brouillée, Emmanuel Macron parviendra-t-il à se faire entendre des Français ?
Alexandre Keller et Louis Maréchal