Si Jean-Claude Michéa a salué la création d'un mouvement venant de la France «d'en bas», plusieurs soutiens du gouvernement et éditorialistes libéraux, eux, n'ont pas eu la même tendresse envers les Gilets jaunes. Contestant la baisse de leur pouvoir d'achat et du niveau de vie en général, les Gilets jaunes ont réussi depuis leurs premières mobilisations du 17 novembre à s'attirer la sympathie de près de 80% des Français. Nés d'une initiative citoyenne, les Gilets jaunes ont été rapidement attaqués par le pouvoir. Lors d'un entretien télévisé le 14 novembre, le président Emmanuel Macron avait qualifié le mouvement des Gilets jaunes de «poujadisme contemporain».
Une expression surprenante dans la mesure où le poujadisme – créé après l'émergence de l'homme politique Pierre Poujade dans les années 1950 – qualifiait de façon péjorative un mouvement de défense des intérêts d'une classe moyenne plutôt supérieure (commerçants et artisans notamment) face aux élites, au discours taxé de démagogique, violent et antiparlementaire.
Or, force est de constater que les Gilets jaunes ont des revendications – certes nombreuses – mais ne contestent pas les institutions et sont plutôt issus de classes sociales vivant dans la difficulté. Malgré tout, le «poujadisme» va vite devenir un élément de communication pour les soutiens ou proches du pouvoir. Il est ainsi repris par le centriste écologiste, ex-député européen, Daniel Cohn-Bendit dans une interview pour Le Point le 18 novembre : «[Le] mouvement poujadiste mélange des tas de revendications et refuse de mener le débat de fond».
Parmi les reproches les plus forts, Daniel Cohn-Bendit – électeur assumé d'Emmanuel Macron lors de l'élection présidentielle de 2017 – dénonce la contestation de la hausse du prix des carburants qui, selon lui, est une taxe carbone «juste» et «nécessaire» à l'aune du défi écologique. Un argument peu valable puisqu'il a été démontré par des parlementaires de l'opposition, dont Vincent Eblé, président socialiste de la commission des finances du Sénat, que la hausse des taxes sur le carburant servirait finalement à alimenter le budget de l'Etat et non la transition écologique.
Autre soutien assumé d'Emmanuel Macron, l'écrivain Bernard Henri-Lévy a lui aussi repris cette notion de «poujadisme» pour définir les Gilets jaunes, dans un tweet le 17 novembre.
Le sous-préfet du Finistère Ivan Bouchier a quant à lui osé, directement sur le terrain, traiter les Gilets jaunes de «poujadistes» à plusieurs reprises, lors d'un blocage d'un dépôt pétrolier le 22 novembre à Brest.
Quelques éditorialistes se sont également joints à ce courant de pensée. Le chroniqueur de LCI, Renaud Pila estimait le 15 novembre que les Gilets jaunes étaient une «jonction entre un vieil électorat de droite poujadiste anti-impôts et des sympathisants insoumis anti-libéraux».
Autre éditorialiste, le pro-Union européenne Jean Quatremer, lui, n'a pas hésité à qualifier les Gilets jaunes comme un mouvement de «beaufs», «poujadiste» (encore) et «d'extrême droite» [...] qui lui «sort par les oreilles».
Les Gilets jaunes, des nazis ?
Certains dépassent même le concept du «poujadisme» pour étendre leur critique à des formes bien plus imagées. Le secrétaire général du syndicat CFDT, Laurent Berger, voit dans les Gilets jaunes une «forme de totalitarisme» par certaines de leurs actions de filtrage sur les routes.
Les adversaires – assumés ou non – des Gilets jaunes tombent d'ailleurs vite sous le coup de la fameuse loi de Godwin. Pour tenter de discréditer le mouvement, ils n'hésitent pas à faire des parallèles douteux avec le nazisme.
Le député de La République en marche (LREM) d'Ille-et-Vilaine Florian Bachelier a jugé dans Le Figaro du 22 novembre que «sous beaucoup de "gilets jaunes", les chemises brunes [étaient] de plus en plus visibles», dénonçant certains faits de racisme et d'homophobie qui auraient été l’œuvre de quelques manifestants en France.
«Je dénonce une récupération par des milices factieuses d'extrême droite», a ajouté Florian Bachelier dans la même interview.
En outre, l'ancien patron de La Chaîne parlementaire, Gérard Leclerc, actuellement chroniqueur politique sur Cnews – ouvertement libéral et dont les positions sont proches de celles d'Emmanuel Macron – a pour sa part insisté le 23 novembre pour déclarer que les Gilets jaunes «se trompaient» car ils «n'entendraient pas» l'urgence climatique. «De même que dans les années 1930, les Français n'ont pas compris – en tout cas pas suffisamment – l'arrivée d'un danger évident, le nazisme», s'est-il ensuite hasardé. Sur le plateau, présent en face de Gérard Leclerc, le journaliste du Figaro Ivan Rioufol contestait ce «rapprochement douteux».
Bastien Gouly