Malgré la forte mobilisation des «gilets jaunes» à travers la France le 17 novembre, le gouvernement a annoncé qu’il ne remettrait pas en cause sa politique de fiscalité écologique basée en partie sur une taxation des énergies fossiles, dont le carburant (taxation dont seules 19% des recettes sont effectivement consacrées à la transition écologique). Si ce maintien de cap suscite de vives inquiétudes au sein d’une partie de l’opinion et de de la scène politique, le gouvernement peut compter sur le soutien de Daniel Cohn-Bendit, qui juge la taxe carbone «juste» et «nécessaire» dans une interview parue dans Le Point le jour de la mobilisation nationale.
Lire aussi : «Gilets jaunes» : un nouveau rassemblement prévu à Paris le 24 novembre (EN CONTINU)
Pour justifier la justesse, selon lui, de la politique gouvernementale, l'ancien député européen Europe Ecologie Les Verts (EELV) établit un parallèle avec la taxation sur le tabac : «Regardez le tabac. Il est admis par tous qu'il faut le taxer, car, sinon, les cancers seraient plus nombreux et les coûts de santé augmenteraient pour la collectivité. C'est pourtant injuste, car les plus affectés par la hausse du prix des cigarettes sont les plus pauvres. C'est le même principe pour la taxation écologique. Si on veut s'attaquer à la dégradation climatique, il faut changer nos comportements de mobilité.»
Ce mouvement poujadiste mélange des tas de revendications et refuse de mener le débat de fond
S’il comprend «certains problèmes» pointés du doigt par le mouvement des «gilets jaunes», il estime que la réaction de ceux-ci ne permettra pas d’avancer sur la question écologique. «Ce mouvement poujadiste mélange des tas de revendications et refuse de mener le débat de fond, à savoir comment répondre de front à deux défis, la dette écologique et la dette financière. Si l'on veut être à la hauteur du challenge pour l'avenir […]. La réaction des gilets jaunes face à la hausse des prix de l'énergie, même si je comprends certains problèmes qu'elle pose, est une erreur de fond, car à ce rythme-là on n'affrontera jamais la dette écologique. Il n'y aura jamais de moment opportun pour s'y attaquer !», explique-t-il.
Un déficit politique du gouvernement
Pour autant, Daniel Cohn-Bendit, qui n'a jamais caché ses convergences de vues avec le chef de l'Etat, adresse de timides critiques à l’exécutif. Il juge en effet que les mesures d’accompagnement destinées aux classes sociales les plus défavorisées demeurent insuffisantes : «Emmanuel Macron est, avec raison, le champion du "en même temps". Pourtant, si on augmente une taxe écologique et qu'on ne propose pas, en même temps, des allègements pour ceux qui vivent dans les territoires, pour les plus défavorisés, alors l'évolution paraît socialement injuste. Ce que le gouvernement a proposé cette semaine va dans la bonne direction. Mais pourquoi diable ne l'a-t-il pas fait en même temps ? Dès le mois d'août, un rapport de LREM le signalait. Il y a là un déficit politique du gouvernement.»
Enfin, sur cette même question, Daniel Cohn-Bendit estime nécessaire de taxer le kérosène. Alors qu'il avait appelé en 2010 à sa taxation lorsqu'il était député, l'actuel ministre de la Transition écologique et solidaire François de Rugy a affirmé, lors de la conférence de presse suivant le conseil des ministres du 14 novembre, qu'une telle décision ne pouvait être prise sur le plan national : «Sur le transport aérien et le transport maritime, ce sont des règles internationales, auxquelles la France souscrit, qui régissent la taxation des carburants.»
Mais pour l'ancien leader de mai 68, le gouvernement doit légiférer : «C'est injuste et insuffisant. Aucun gouvernement n'ose taxer le kérosène, c'est un scandale écologique ! Il faut le taxer. Prendre l'avion deviendra plus cher. Ce sera socialement injuste, car, là aussi, ce sera plus difficile pour les classes moyennes inférieures qui auront du mal à se payer l'avion. Là aussi, il faudra des mesures de compensation. La taxation du kérosène, au niveau européen, incitera à moyen terme les avions à consommer moins de carburant, car toute régulation oblige les constructeurs à agir», plaide-t-il.
Le 17 novembre, la mobilisation des «gilets jaunes» a rassemblé au moins 283 000 personnes en France, selon les chiffres du gouvernement, afin de protester contre la hausse du prix du carburant et la baisse du pouvoir d'achat.
S'il a été critiqué par diverses personnalités médiatiques, comme le journaliste Jean Quatremer ou le philosophe Bernard-Henri Lévy, le mouvement a bénéficié du soutien d'une partie de la classe politique, qui n'a pas hésité à descendre dans la rue pour se joindre aux manifestants. Jean-Luc Mélenchon, leader de La France insoumise, a ainsi rejoint la Place de la Concorde, sans toutefois porter de gilet jaune. Chef de file des Républicains, Laurent Wauquiez a lui aussi apporté son soutien au mouvement. Plusieurs représentants du Rassemblement national (ex-FN) ont également arboré un gilet jaune.
Lire aussi : Vers un mouvement long ? Des «gilets jaunes» poursuivent les blocages ce 18 novembre