Toujours déterminés mais de plus en plus fatigués, les militants de «GCO non merci», collectif anti-autoroute de Strasbourg, poursuivent leur grève de la faim entamée le 22 octobre. Ils étaient une dizaine à l'origine, soutenus par des milliers de citoyens et deux cents élus dont de nombreux maires de villages proches du tracé d'un projet de méga-autoroute de 24 kilomètres confié aux constructeurs Vinci et Sanef. Il ne reste plus que cinq jeûneurs le 14 novembre, les autres ayant dû s'arrêter car leur santé était menacée. Ces jusqu'au-boutistes de la résistance pacifique se sont dénudés en pleine rue le 12 novembre pour exposer leurs corps décharnés, mais n'ont toujours pas réussi à émouvoir le chef de l'Etat, qui était pourtant de passage à Strasbourg le 4 novembre.
RT France s'est rendu sur les lieux d'un rassemblement solidaire de grévistes le 9 novembre et a recueilli leurs impressions. La gréviste de la faim Rachelle Kuhn, jeune femme aux longs cheveux bruns, souffle d'une voix douce que son collectif «ne comprend pas» pourquoi, malgré les enquêtes publiques défavorables, ce projet d'autoroute est maintenu. «En désespoir de cause, on a décidé de faire cette grève de la faim», explique-t-elle.
Il est inacceptable qu'Emmanuel Macron ne fasse pas un geste, c'est inhumain
Michel Dupont, autre gréviste, se plaint d'une «complicité de Vinci avec les Services de l'Etat». Leur action radicale ? «On le fait avec notre corps, avec détermination. Et on doit être entendu», martèle-t-il. «Il est inacceptable qu'Emmanuel Macron ne fasse pas un geste, c'est inhumain, ce n'est pas digne d'un chef de l'Etat», lance-t-il, la voix vibrante de colère.
Une autoroute qui condamne le poumon vert de Strasbourg
Le GCO cristallise les tensions depuis de nombreuses années car ses dimensions, l'étendue des destructions qu'il implique et son utilité sont constamment remises en question par divers rapports. Cette rocade de 24 kilomètres d'asphalte a été imaginée dès les années 70 pour désengorger l'agglomération strasbourgeoise, congestionnée par des embouteillages. Elle nécessitera la construction d'un viaduc de 11 mètres de haut là où se dressait une majestueuse forêt, et se déploiera sur des terres parmi les plus fertiles d'Europe. Elle détruira le dernier poumon vert proche de Strasbourg et favorisera l'urbanisation de ses flancs. 330 hectares de nature seront ainsi rayés de la carte, au sein d'un paysage déjà très aménagé, bétonné, mité par des zones industrielles et urbaines.
Si les militants sont les premiers à dégainer des arguments contestant le bien fondé du contournement autoroutier de Strasbourg, ils sont légitimés par diverses études et rapports dont certains ont été commandés par l'Etat. Le report de circulation serait très marginal, de moins de 10%, puisque les automobilistes empruntant l'A35 actuelle se rendent directement à Strasbourg pour raisons professionnelles, et ne contourneront pas la ville. Qui pourrait avoir intérêt à rouler sur la nouvelle autoroute ? Les militants du collectif anti-CGO redoutent une recrudescence de poids lourds très polluants, qui choisiraient de descendre par la France plutôt que par l'Allemagne où la tarification autoroutière est moins avantageuse. La pollution empirerait alors que l'Alsace souffre déjà de forts taux de pollution. Ces conclusions et d'autres impacts négatifs ont été relevés dans sept avis défavorables dont l'exécutif n'a pas tenu compte. Les militants du collectif entament recours sur recours au tribunal administratif pour empêcher ou freiner les travaux. Mais en 2016, une déclaration d'utilité publique est lancée pour démarrer les travaux, prolongée en janvier 2018.
Alors que les habitants veillaient depuis des mois, en septembre 2018, le combat s'est durci. Les machines sont venues terrasser et déboiser à Vendenheim et Kolbsheim, à 11 et 17 kilomètres de Strasbourg. Les forces de l'ordre ont délogé les locaux accourus pour protéger leurs forêts et les zadistes venus en renfort, pulvérisant au passage des gaz lacrymogènes qui ont fait défaillir l'eurodéputée EELV Karima Delli, dans ce qui est devenu la ZAD de Kolbsheim.
Mais ni le soutien de François Ruffin, député la France Insoumise, ni ceux de Yannick Jadot, eurodéputé écologiste, et de José Bové, venus ces derniers jours au chevet des jeûneurs, ni les différents recours, n'ont réussi à endiguer la marche des travaux. Chaque jour, des opposants au projet surveillent les différents lieux choisis pour l'aménagement afin de bloquer les machines ou de faire respecter des interdictions de travaux tant que certaines décisions de justice n'auront pas été rendues.
Un projet soutenu par le gouvernement
Mais que peuvent ces militants contre un projet de 553 millions d'euros adoubé par certaines entreprises locales, et souhaité par le gouvernement et le maire de Strasbourg, pourtant opposé au GCO à l'origine ? Grand projet inutile, coûteux et néfaste pour le climat pour certains, nécessité pour d'autres. Emmanuel Macron, en visite à Strasbourg en avril 2018, avait déclaré souhaiter que les travaux démarrent.
Nicolas Hulot, en novembre 2017, à l'époque ministre de la Transition écologique avait évoqué le GCO au magazine écologiste Reporterre, affirmant qu'il ne pouvait «prendre des mesures rétroactives qui conduiraient à des indemnités ou des contentieux très lourds». Son successeur François de Rugy a estimé le 12 septembre 2018 que le projet était «déjà lancé». Elisabeth Borne s'était félicité d'un projet «très attendu localement», pour «réduire la pollution». «Plus 4 000 camions sur les dix dernières années, on ne peut pas laisser faire ça», avait argué François de Rugy. Avec le GCO, les militant anti-rocade pensent qu'il y en aura bien davantage, mais qu'ils iront polluer leurs villages et non plus l'agglomération strasbourgeoise...
«Au 28e jour, les organes nobles commencent à avoir des lésions», avait confié à RT France Christine Ludes, une autre gréviste de la faim. Alors que les jours s’égrènent, le combat de David contre Goliath prend des accents tragiques alors que les grévistes, réfugiés dans un temple protestant prêté par des pasteurs acquis à leur cause, rêvent d'un nouveau Notre-Dame-des-Landes, où les forêts triompheraient des pelleteuses.