France

Les juges pour enfants de Seine-Saint-Denis appellent au secours

Les juges des enfants du tribunal de Bobigny ont publié une tribune dans Le Monde, s’inquiétant des restrictions budgétaires qui affectent la protection de l'enfance et provoqueraient à terme davantage de violences et de passages à l’acte criminel.

Dans une tribune parue dans Le Monde et France Inter le 5 novembre, les 15 juges des enfants du tribunal de Bobigny lancent un véritable «appel au secours», dénonçant le flagrant manque de moyens affectant le secteur de l’aide à l’enfance en Seine-Saint-Denis, le département le plus pauvre de France. Les conséquences pourront, selon eux, être dramatiques.

Des délais inacceptables pour exécuter les mesures qu'ils demandent

Dans le texte, initié par Thierry Baranger, président du tribunal pour enfants, les magistrats rappellent que leur mission consiste à veiller sur des mineurs «parfois très jeunes, que leur situation familiale met en péril : violences physiques, sexuelles, psychologiques, délaissement parental, négligences dans les soins et l’éducation». Or le secteur associatif, censé apporter l'accompagnement éducatif demandé par les juges manque cruellement de moyens, selon les auteurs du texte, qui rapportent que les délais pour faire appliquer les mesures d’assistance éducative qu'ils prononcent s'éternisent.

«Il s’écoule jusqu’à dix-huit mois entre l’audience au cours de laquelle la décision est prononcée par le juge des enfants et l’affectation du suivi à un éducateur. Près de 900 mesures, soit 900 familles, sont en attente», expliquent-ils.

Un manque flagrant de personnel, lié aux restrictions budgétaires

Les 15 juges déplorent «un manque flagrant de personnel, lié aux restrictions budgétaires, dans un contexte où la dégradation des conditions du travail éducatif et social en Seine-Saint-Denis rend plus difficiles les recrutements». Au niveau départemental, la situation est tout aussi préoccupante. Les éducateurs du Conseil départemental, «en sous-effectif eux aussi, ne parviennent plus à assurer correctement leurs missions de l’aide sociale à l’enfance», comme l’accompagnement des enfants placés et de leurs familles, les visites familiales médiatisées par un professionnel, l’évaluation des situations signalées. «En Seine-Saint-Denis, des mineurs en détresse ne peuvent ainsi plus recevoir l’aide dont ils ont besoin, faute de moyens financiers alloués à la protection de l’enfance par le Conseil départemental, tributaire en partie des dotations de l’Etat», écrivent les juges.

Les enfants mal protégés, ce seront davantage d’adultes vulnérables, de drames humains

Ils se plaignent également du délai d’un an environ, pour notifier les jugements prononcés, qui «ôte véritablement aux jugements leur sens, dans un département où les actes de délinquance sont nombreux».

«Des enfants mal protégés, ce seront davantage d’adultes vulnérables, de drames humains, de personnes sans abri et dans l’incapacité de travailler», expliquent-ils. Ils insistent sur le coût social ultérieur de ce manque de moyens et les passages à l’acte criminel qu'ils entraîneront. «Le meilleur rempart à la violence extrême [...] y compris la violence terroriste, est [...] une politique efficace de détection des violences précoces et de protection des enfants qui en sont les victimes», alertent-ils.

Pour Nicole Belloubet, la responsabilité est celle du «département»

Certains politiques ont réagi à cette tribune. Directement concernée puisqu'il s'agit en partie de son ministère, la garde des Sceaux Nicole Belloubet a minimisé sa responsabilité. «C'est une politique qui appartient au département que d'exécuter la mise en œuvre de ces décisions de justice», a-t-elle commenté. «C'est une autre question que de savoir comment est-ce que l'Etat peut appuyer des départements comme ceux de la Seine-Saint-Denis», a-t-elle expliqué.

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