De droite comme de gauche, les élus locaux sont venus de toute la France pour défendre l’autonomie des régions à Marseille le 26 et 27 septembre, à l'occasion du premier «Rassemblement des élus pour les libertés locales», lancé par une poignée de personnalités des Républicains et du Centre.
Maires, conseillers régionaux, présidents de région et autres responsables ont profité de la tenue annuelle du Congrès des régions de France au Palais du Pharo pour protester contre l'emprise du gouvernement sur les politiques de proximité. «C’est la première fois que, en tant qu'élue socialiste, je vais aller dire mon inquiétude pour mon territoire avec des élus de droite, ça montre que l'heure est grave!», explique Pernelle Richardot, adjointe au maire de Strasbourg, conseillère régionale et présidente du groupe socialiste du Grand Est, interrogée par RT France. «L'inquiétude des élus est de ne plus réussir à mener des politique publiques efficaces importantes et de proximité», dénonce-t-elle.
François Baroin, président de l’Association des maires de France (LR), Dominique Bussereau(Ex-UDI), président de l’Assemblée des départements de France, et Hervé Morin, président de Régions de France (UDI) sont les initiateurs de l'«appel pour les libertés locales». Les petites communes ou petites villes, devenues financièrement exsangues, s’estiment dépossédées de leur force de décision et lésées par diverses mesures du gouvernement. «Ce n’est pas une centralisation supposée, mais une centralisation véritable !», affirme Pernelle Richardot. «Face à des élus ''marchistes'' qui sont déconnectés des territoires, l'ancien monde s'organise pour les sauver !», s'agace-t-elle.
Des mesures du gouvernement asséchant les finances des collectivités
Frédéric Dauphin, maire sans étiquette de Peipin, village de Provence, partage son inquiétude. «Les mesures d’Emmanuel Macron viennent s’ajouter à de nombreuses autres prévues depuis longtemps : elles nous donnent l’impression qu’on veut tuer les petites communes», explique cet élu à RT France.
Fin incompréhensible de l'aide aux agriculteurs bio à la fin de leur conversion au sans pesticides, suppression de la taxe d’habitation, dédoublement des classes de CP/CE1 à supporter par les collectivités et non par l’Etat, baisse des dotations... La liste de ces mesures, qui font redouter aux élus locaux et surtout ruraux que leurs budgets ne suffisent plus à l'avenir, est longue.
Mais c'est la réduction drastique des emplois aidés annoncé en janvier 2018 par la ministre du Travail Muriel Pénicaud qui semble cristalliser le plus d'inquiétudes et de colères. «Les associations se sont retrouvées privées d’un grand nombre d’emplois nécessaires à la cohésion des territoires, au décloisonnement social. Et qui a pris le relais ? Le gouvernement s’est débarrassé d’un certain nombre de financements et les a fait peser sur les collectivités territoriales», explique Pernelle Richardot.
La disparition de la taxe d'habitation a elle aussi plongé les élus locaux dans le désarroi. «Elle a été supprimée de manière péremptoire, on sent que le président n’a jamais exercé de mandat de proximité, qu’il n'a jamais géré une collectivité. Les communes avaient la main sur la taxe d'habitation, en lien direct avec la population. Les habitants pouvaient en constater le résultat à la vue des installations. On nous dit qu'elle va être compensée par une dotation... La commune n'aura plus la main sur son augmentation ! Et comme d’autres dotations, elle va progressivement baisser», se plaint le maire de Peipin. En effet, Emmanuel Macron, qui avait promis lors de sa campagne électorale de ne pas baisser les dotations en 2018, les avait amputées de 300 millions d'euros quelques mois après son élection... en 2017.
La reprise en main de l'Etat sur les collectivités
Pire encore, les élus locaux fustigent le «pacte girondin» annoncé le 17 juillet par Emmanuel Macron entre l’État et les territoires. Il promettait un certain niveau de dotation aux collectivités locales qui s’engageraient à contenir leurs dépenses, en limitant à 1,2 % annuel la hausse de leurs frais de fonctionnement. La majorité des grandes villes l’ont signé. Mais sur les 322 collectivités, 92 ont refusé, y voyant une remise en cause du principe de libre administration.
«On a fait pression sur les régions pour qu'elles signent. Ce pacte forcé avec l'Etat met sous tutelle les collectivités comme jamais. Elles vont devoir répondre devant le préfet de leurs dépenses de fonctionnement», poursuit l'adjointe au maire de Strasbourg.
Frédéric Dauphin ou Pernelle Richardot s'accordent à dire que le seul bénéficiaire des nouvelles mesures seront «les métropoles». «L’idée est de vider les communes, d’en faire des coquilles vides, de les vider de leurs compétences pour les transférer vers des entités plus grosses, des communautés de communes, d'agglomération», explique le maire provençal. «Voyez les déserts médicaux, la suppression de bureaux de postes : beaucoup d’infrastructures disparaissent les unes après les autres. Je suis très pessimiste», conclut-il.
«On ne peut pas réformer ce pays contre les territoires et contre les élus des territoires», avait averti Gérard Larcher, le président LR du Sénat et ténor de la fronde en cours, lors de sa conférence de presse de rentrée. Il avait rappelé que les principales associations d’élus avaient fui la conférence des territoires organisée par le Premier ministre Édouard Philippe en juillet. Elles contestaient les restrictions budgétaires et décisions unilatérales de l'Etat. Une vague de démissions de maires, estimée à 1 500 par François Baroin, avait également témoigné du ras-le-bol des élus locaux.
Ces signaux alarmants seront-ils entendus à Paris ? Le Premier ministre Edouard Philippe doit se rendre à Marseille ce 27 septembre. Il y est attendu au tournant par ces élus réfractaires qu'il a déjà qualifié de «front du refus».
Katia Pecnik