France

Censure d'Internet : ces exemples qui prouvent que la droite a autant à perdre que la gauche

Qui décide de la limite de la liberté d'expression sur Internet ? De gauche à droite, et jusqu'au président américain, des personnalités et des médias français et internationaux dénoncent une censure grandissante au service d'intérêts politiques.

Le président américain Donald Trump s'en est pris le 28 août dernier à Google, affirmant que les résultats du moteur de recherche étaient «truqués» et qu'ils écartaient systématiquement les voix des conservateurs et «les informations positives» en ce qui le concerne. «Ils contrôlent ce que nous pouvons voir ou pas. C'est une situation très grave dont on va s'occuper !» a-t-il promis. S'il est difficile de vérifier ses accusations, une chose est sûre : de très nombreux individus et médias, de gauche ou de droite, en France et dans le monde, se plaignent de censure sur Internet en général et sur les réseaux sociaux en particulier. En voici quelques exemples qui démontrent, s'il subsistait encore un doute, que dans le jeu périlleux de la censure, tous les bords politiques sont perdants.

Le site satirique belge Nordpresse.be

Ainsi, le 22 juillet, le site satirique belge Nordpresse, dont la sensibilité est réputée proche de la gauche, dénonçait une «censure de masse» de ses contenus sur Facebook concernant l'affaire Benalla. Des internautes avaient remarqué que Facebook bloquait ou supprimait les partages de contenus du site satirique sur cette affaire qui a mis à mal l'image du président français. Le site belge a accusé le réseau social d'avoir bloqué son nom de domaine. Dans un communiqué, il exprimait ainsi sa sidération : «On tombe littéralement de notre chaise. Est-ce ça aujourd’hui la démocratie française ? Mettre un site satirique sur liste noire parce qu’il en rajoute sur ce qui est déjà une affaire d’Etat ?»

Devant le tollé provoqué par cette suspicion de censure sur un site humoristique, Facebook avait démenti l'intention de censure, invoquant des «problèmes techniques qui ne sont pas liés au contenu».

Il y a des cas, où en revanche, Facebook assume la suspension de certaines pages...

Génération identitaire, très à droite

Le 21 avril 2018, une centaine de militants de Génération identitaire, un mouvement qualifié d'extrême droite, montaient au col de l'Echelle, point de passage de migrants depuis plusieurs mois, dans le cadre d'une opération coup de poing, pour en «prendre possession et veiller à ce qu'aucun clandestin ne puisse rentrer en France». Quelques jours plus tard Facebook et Instagram suspendaient les pages de Génération identitaire France.

Un porte-parole de Facebook avait confirmé le 4 mai à l'AFP la fermeture de la page du mouvement et justifié sa décision en ces termes : «Nous n'autorisons pas les discours incitant à la haine sur Facebook, parce que ces discours créent une atmosphère d'intimidation et d'exclusion, et peuvent aboutir à des violences dans le monde réel.» Invoquant le «code de conduite» signé avec la Commission européenne en 2016, Facebook assure avoir l'obligation de réagir en moins de 24 heures quand un «discours de haine» lui est signalé par des utilisateurs. Seul juge quant au fait qu'un discours soit un «discours de haine» ou non, Facebook ne révèle toutefois pas sur quels critères il fonde ses décisions.

Sur son site internet, Génération identitaire a dénoncé un cas de «censure» avec une affiche : «Aujourd'hui c'est nous, demain ce sera vous». Dans un communiqué, le groupe assure qu'il portera cette affaire en justice, ne trouvant pas normal que «des entreprises privées en état de monopole s’octroient le pouvoir de décider quelles opinions ont droit de cité dans le débat politique».

Telesur et Occupy London, très à gauche

Mi-août, c'est la version anglaise de la chaîne de télévision, très à gauche, Telesur qui a annoncé la suspension d'une de ses pages Facebook : «Facebook a supprimé notre page pour la deuxième fois cette année sans nous donner aucune explication», écrivait le média latino-américain sur Twitter, qualifiant la situation d'alarmante, au vu «des récentes suspensions de pages qui ne collent pas au discours dominant».

Quelques jours plus tard, outre-manche, Occupy London, une page Facebook revendiquant quelque 150 000 abonnés a été supprimée par le géant des réseaux sociaux, faisant suite à la suppression régulière de ses posts contenant des messages pro-palestiniens, selon son porte-parole.

Facebook n'a toujours pas fourni de commentaires, mais le tollé général suscité par ces suppressions a été suivi par un rétablissement des deux pages.

Le site conspirationniste Infowars d'Alex Jones

Début août, Apple, Facebook, Youtube ou Spotify ont banni les pages d'Alex Jones, le fondateur d'InfoWars, site américain controversé, classé à l'extrême droite et accusé de conspirationnisme. Seule exception notable, Twitter a maintenu le compte. Facebook a justifié cette décision en ces termes : «Nous l'avons banni car il glorifie la violence, et parce qu'il use de langage dégradant pour décrire transgenres, musulmans et migrants, ce qui va à l'encontre de notre politique sur les propos haineux.»

Outre-Atlantique, la suppression des comptes du fondateur d'InfoWars a provoqué de vifs débats. Le New York Times notait que la situation était devenue suffisamment sensible pour que le fondateur de Facebook, Mark Zuckerberg en personne, intervienne : «Il a longuement discuté d'Infowars avec d'autres dirigeants de Facebook, et s'est demandé en privé si Alex Jones - qui a un jour qualifié Mark Zuckerberg de "psychopathe génétiquement modifié" dans une vidéo – essayait délibérément de se faire virer de la plateforme pour attirer l'attention», rapportait ainsi le quotidien new-yorkais.

Un sénateur républicain du Texas, Ted Cruz, s'est indigné de cette interdiction, osant l'analogie avec le célèbre poème de Martin Niemöller dénonçant la lâcheté des intellectuels allemands au moment de l'accession des nazis au pouvoir : «D'abord, ils sont venus pour Alex Jones.»

Après l'interdiction, InfoWars a apposé un label «censuré» sur ses vidéos et lancé une campagne de marketing «d'informations interdites», adoptant ainsi, selon le journaliste du New York Times «une posture de martyr de la liberté d'expression». 

La censure institutionnalisée

Accusant volontiers les géants des réseaux sociaux d'être d'un bord opposé au leur, la droite comme la gauche dénoncent régulièrement une censure jugée abusive. Alors, Twitter est-il de gauche ? Facebook est-il de droite ? A moins que le parti pris idéologique de ces entreprises à l'influence colossale sur l'opinion ne transcende le clivage gauche-droite ?

Accusé d'avoir joué un rôle majeur dans l'élection présidentielle américaine en ne modérant pas suffisamment des contenus qui auraient pu influencer les électeurs, Facebook a annoncé un nouveau partenariat avec l'Atlantic Council afin de s'attaquer au problème. Ce think tank basé à Washington, qui entretient des relations étroites avec l'OTAN, va ainsi se voir confier de grandes responsabilités par le géant des réseaux sociaux. L'Atlantic Council est l'un des organes d'influence américains les plus puissants dans le monde. La liste des membres honoraires de son conseil d’administration, publiée par le blog d'Olivier Berruyer Les Crises, est édifiante. On y retrouve pas moins de neufs anciens ministres américains, des hauts gradés de l'armée américaine, un ancien directeur de la CIA et un ancien directeur du FBI.

Le tropisme atlantique de nombreux acteurs d'influence qui gravitent autour des géants des réseaux sociaux induirait-il un parti pris plus profond ? L'angle sous lequel la question est systématiquement posée par les promoteurs d'un plus grand contrôle d'Internet a de quoi éveiller quelques doutes : la menace, sur Internet, vient souvent de l'Est. De la paranoïa généralisée quant à une «ingérence russe» à la loi anti-«fake news» du gouvernement français, en passant par les élucubrations d'EU DisinfoLab et son fichage politique, la Russie sert bien souvent de prétexte à une réduction de la liberté d'expression. 

Il faut croire que ce prétexte se révèle efficace. Il se trouve même des journalistes, des politiques et des militants associatifs, à droite comme à gauche, que de telles restrictions auraient fait bondir en d'autres circonstances mais qui, parce qu'on sait la leur vendre, adhèrent à l'idée d'un nécessaire contrôle accru des opinions diffusées sur la toile. Tout porte pourtant à croire qu'ils ont tout à y perdre.

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