«Je suis sorti dehors pour faire taire le bruit derrière la petite fenêtre parce qu’un de mes patients était encore là, et c’est là que je me suis fait taper dessus», relate le docteur P.G., que RT France a rencontré à Dunkerque, visiblement très éprouvé. Il fait partie des 1 035 praticiens qui ont déclaré une agression en 2017, selon les chiffres d'un rapport du Conseil de l'Ordre des médecins.
Il y a un an de cela, le docteur P.G. a été victime d'un passage à tabac en règle pour avoir simplement demandé le calme. Les trois jeunes agresseurs lui ont fracturé le tibia et des complications s’en sont suivies. Le généraliste a dû utiliser des béquilles durant un mois et demi, et encore aujourd’hui, ne peut rester en station debout très longtemps. «On y pense tous les jours puisqu’on a mal tous les jours», se désole-t-il.
C’est là que je me suis fait taper dessus
Il a bien installé des caméras de surveillance en bas de son bureau, mais cette protection semble bien dérisoire face à la violence de ses agresseurs qui ne cessent de revenir en expéditions punitives puisqu’il a osé porter plainte. Un individu de la bande a «cassé les volets la boîte aux lettres à coup d’extincteur un soir». «Quand on est médecin généraliste, on ne peut pas gérer un tel stress», souffle-t-il.
Les incidents sont de plus en plus graves
La courbe des agressions de médecins est en constante augmentation ces dernières années. «Les incidents sont de plus en plus fréquents et les incidents sont de plus en plus graves», affirme le docteur Hervé Boissin, qui a coordonné une étude sur ce phénomène, au sein de l’Observatoire de la sécurité du Conseil. Il fait référence à une de ses consœurs, dans le coma durant trois jours, et à un de ses confrères, assassiné. Les médecins rencontrés par RT France évoquent une impossibilité de «subir la frustration» de la part de leurs patients. Devoir attendre, ne pas recevoir le traitement demandé, ne pas comprendre des explications peut déchaîner de grandes violences verbales ou physiques.
108 de ces 1 035 agressions ont eu lieu dans le Nord, où officie le docteur P.G. A la suite du déchaînement de violences contre le généraliste et à l’augmentation du nombre d’attaques, une initiative s’est mise en place en juillet 2017 dans les Hauts-de-France : un numéro post-agression de médecins. Les praticiens sont alors mis en lien avec la police et la justice, et leurs démarches sont facilitées.
Séquestration et intimidation dans un quartier sensible
A l’origine de ce service téléphonique, on retrouve le président du Conseil général des Hauts-de-France Xavier Bertrand et le docteur Bertrand L. Ce dernier, généraliste à Tourcoing, n’imaginait pas devoir s’en saisir quelques mois plus tard. Seul médecin recevant dans un quartier sensible de plusieurs milliers de personnes, il traite un public majoritairement précaire. Début janvier, il se fait séquestrer par un de ses patients pour lui avoir demandé des excuses après que l'individu a insulté la femme du médecin et pris le poignet de sa secrétaire. Rencontré par RT France, le docteur L., affable et souriant, se remémore l’incident.
«Il m’a séquestré pendant au moins deux heures, en empêchant les patients d’entrer dans le cabinet, en bloquant ma voiture et en me menaçant de mort», se souvient-il. Une course poursuite en voiture s'en suit. «J’ai été suivi pour essayer de trouver où était mon domicile où il m’avait promis de régler le problème de mes enfants et de ma femme. Aujourd’hui, le docteur L., qui assure ne pas avoir été impacté par cette agression, attend des excuses du fauteur de troubles.
Il m’a séquestré pendant au moins deux heures
Pour le docteur L., le constat est simple : rien n’est fait au niveau national pour protéger les médecins. Toutefois, «dans l’immense majorité des cas, tout se passe très bien». Mais il déplore la «loi de l’omerta» qui sévit dans les quartiers à cause d’une «poignée de personnes» qui sème le chaos. Mais comme investi d’une mission, cet homme habité par sa vocation ne compte pas le moins du monde arrêter son activité. «J’ai choisi de travailler dans ce quartier. C’est mon choix, je suis très bien dans ce quartier-là», affirme-t-il.
Les médecins face à un abandon des pouvoirs publics
On retrouve cette même abnégation chez le docteur Régent Quynh, urgentiste de nuit pour Médecins à domicile 94 et au Samu 94. Il intervient dans des cités, de nuit, bravant tous les dangers. Au cours de ces dernières années, il s’est fait agresser huit fois, les voleurs pensant que sa mallette était emplie d’espèce sonnantes et trébuchantes, alors qu’elle ne contient qu’un stéthoscope et autre matériel médical.
Ils n’enquêtent pas plus car je ne suis pas mort !
Sa dernière agression, le 3 avril, était la plus violente. Il s’est fait attaquer par «deux individus qui [l]’ont coincé et [l]’ont tabassé pour lui voler [sa] sacoche». Comme il s’est défendu, il était maculé du sang de ses agresseurs.
A la police, on lui a assuré qu’une enquête allait être menée. Mais l’officier de police s'est ravisé : comme il n’a pas de blessure apparente, l’investigation va s’arrêter là. «Ils n’enquêtent pas plus car je ne suis pas mort !», se plaint l’urgentiste. Avant cela, une des agressions avait eu lieu sous des caméras de surveillance. «Je leur ai signalé, mais ils n’ont même pas demandé à récupérer les bandes», soupire l’urgentiste, qui a porté plainte cinq fois, en pure perte.
Je suis un des seuls médecins qui veuille bien faire les visites de nuit dans ces cités
Courageusement, le médecin ne compte pas arrêter tout de suite, malgré les pressions de sa famille. Mais il remarque l’inertie de la police du quartier. «Il n’y a pas de solution, je suis un des seuls médecins qui veuille bien faire les visites de nuit dans ces cités, mais après moi, il n’y aura plus personne», prédit-il. C’est l’annonce de nouveaux déserts médicaux pour cause de violence…
Du côté du Conseil de l’Ordre des médecins, les perspectives ne sont pas plus engageantes. Hervé Boissin a sollicité une rencontre avec le ministre de l’Intérieur, mais le rendez-vous n’a pas été fixé. Il a demandé l’autorisation d’employer une application de surveillance qui appelle la police et filme l’agression, mais il n’a pas encore de retour du ministère. «On souhaite que le gouvernement prenne cela au sérieux. C’est un appel au secours», lance-t-il.