France

Une journée à Paris VIII : au cœur du blocage et de la protestation contre la loi Vidal (REPORTAGE)

Une assemblée générale s'est tenue le 6 avril à l'Université Paris VIII, à Saint-Denis, réunissant près de 800 personnes. A l'instar d'autres universités en France, Paris VIII pourrait reconduire un blocage débuté le 3 avril.

L’université Paris VIII était inaccessible ce 6 avril au matin : des chaises et des chaînes de fortune bloquent l'entrée du bâtiment. Pourtant, de l'autre côté, des jeunes gens jouent de la guitare, discutent ou fument. Il n’y a pas longtemps qu’ils se sont réveillés, et la plupart ont dormi là, dans leur faculté qu’ils occupent depuis deux jours.

Quelques-uns escaladent le mur pour entrer ou sortir. Depuis la sortie du métro jusqu’à l’intérieur de l’établissement, tous les murs sont couverts de graffitis de toutes sortes. Des messages insurrectionnels, d’autres plus loufoques ou provocateurs, annoncent le blocage de l'université. La date du début de l'occupation est annoncée par l'un d'eux : «Fac autogérée à compter du 3 avril 2018». «Grève en marche», annonce un autre tag en guise de clin d’œil au parti présidentiel. Plus déroutant, on lit encore : «Dictature clitoridienne» ou «Pour un califat autogéré» – inscription signée d'une «internationale islamosituationniste».

En ce 6 avril a lieu la deuxième assemblée générale (AG) depuis le début du blocage. Etudiants, professeurs et employés de l'administration sont invités à y participer, mais pas la presse. «On se méfie des journalistes car ils nous ont fait des sales coups. A Tolbiac, ils ont montré des tags radicaux et filmé les étudiants à visage découvert, ce qui les mets en danger», explique une étudiante gréviste.

La cause de ce blocage : la loi relative à l'orientation et à la réussite des étudiants (ORE), adoptée le 15 février et portée par la ministre de l'Enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation Frédérique Vidal. Censée répondre au problème de la saturation des universités, cette loi rencontre un mécontentement grandissant. Ses opposants lui reprochent d'instaurer une sélection injuste dans l'admission post-bac. 

Yacine fait partie des 800 étudiants venus assister à l'AG. Il n’est pas pour le blocage total de la fac. Avec les partiels qui approchent, il voudrait que ceux qui veulent étudier puissent le faire. En revanche, comme la plupart de ses camarades, il est contre la loi à venir : «Ca va américaniser le système éducatif français. Il faut continuer à laisser sa chance à chacun pour l’accès à l’université en France. C’était jusqu'à maintenant le seul accès à des études supérieures sans sélection.»

Pour Iman, cette loi va entraîner encore plus d’inégalités sociales : «Ce seront les plus pauvres qui seront pénalisés. Ceux qui ont les moyens iront directement dans les écoles privées.» Elle qui a eu un bac professionnel assure très bien s’en sortir en filière économie et gestion à l’université. 

Michel, cheminot à la retraite et étudiant à Paris VIII en sciences de l’éducation «pour le plaisir» est venu assister à l’AG et a également ramené des tracts de la CGT pour sensibiliser les jeunes gens au sort de ses anciens collègues. Il espère une convergence des luttes. Comme lui, beaucoup d'étudiants comparent le blocage des universités aux grèves à la SNCF. Certains arguments sont d'ailleurs communs aux grévistes de l'entreprise publique et aux étudiants de Paris VIII : «On bloque la fac aujourd'hui pour en avoir une demain.» 

Selon la ministre de l'Enseignement supérieur, il y aurait actuellement huit campus bloqués en France, mais les syndicats étudiants en revendiquent plus d'une vingtaine. Une chose est sûre : dans de nombreux établissements supérieurs du pays, les tensions sont vives, comme à Montpellier, où des violences impliquant des membres de l'administration de l'université ont récemment défrayé la chronique. A Tolbiac, dans le XIIIe arrondissement de Paris, les étudiants occupent également l'université depuis le 26 mars.

Entre références à la Commune et évocations de mai 68, les étudiants de Paris VIII nourrissent l'espoir d'un mouvement durable et destiné à prendre de l'ampleur. En attendant, l'assemblé générale a voté la prolongation du blocage jusqu'à la prochaine AG, le 11 avril à midi. 

Meriem Laribi