Une conférence intitulée «Les démocraties face aux manipulations de l'information» s'est tenue le 4 avril au Quai d'Orsay à Paris en présence du ministre français des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian et de son homologue de la culture Françoise Nyssen.
Défendant le projet de loi controversé contre les «fake news» qui est en préparation en France, Jean-Yves Le Drian a appelé la société civile à la «résilience collective» pour lutter contre le «fléau» de la désinformation.
Après avoir dénoncé une «ingénierie de la désinformation» qui serait lui à l'oeuvre dans plusieurs démocraties, le chef de la diplomatie hexagonale a multiplié les allusions directes à la Russie et à ses prétendus «organes et plateformes de propagande d'une ère nouvelle comme Russia Today ou Sputnik». Le ministre reprend ainsi un terme qu'avait employé Emmanuel Macron en mai 2017 lors d'une conférence de presse commune avec le président russe Vladimir Poutine à Versailles.
«Nous sommes entrés dans un nouvel âge de la propagande. La gestion de l'information sur la crise en Ukraine et l'opération d'annexion de la Crimée a constitué un signal d'alarme majeur. La prise de conscience s'est accélérée avec la série noire des dernières élections [aux Etats-Unis, au Royaume-Uni et en France]», a poursuivi le membre du gouvernement Philippe.
Face à ces «manipulations d'un genre nouveau», il a défendu la proposition de loi contre les «fake news» en période électorale, voulue par le président Emmanuel Macron. Pourtant, certains, notamment dans les médias, critiquent un projet jugé inapplicable et potentiellement liberticide.
Nous sommes entrés dans un nouvel âge de la propagande
«Ce projet permettra au régulateur de suspendre ou de mettre un terme définitif dans des délais très rapides à la diffusion de contenus malveillants contrôlés sous l'influence avérée d'un Etat étranger», a-t-il précisé. «C'est d'abord et avant tout un sujet russe», reconnaissait-on la veille dans l'entourage du ministre, selon Reuters.
Jean-Yves Le Drian a en outre fustigé «l'organisation de stratégies digitales d'interférence et de déstabilisation» venant de l'étranger, donnant l'exemple de «campagnes orchestrées depuis la Russie contre le candidat Emmanuel Macron» en 2017. Dans son viseur : des médias qui, sans produire de fausses nouvelles, ont des «stratégies plus sophistiquées qui consistent à créer une source d'information qui s'avère fiable dans la quasi-totalité des cas [...] afin de crédibiliser le moment venu une fausse nouvelle». Il a en outre annoncé la création, au sein du ministère des Affaires étrangères, d'un système de veille et d'alerte afin de «réagir rapidement à une campagne de manipulation de l'information visant nos intérêts à l'étranger».
La ministre de la Culture a, quant à elle, souligné que le dispositif juridique de la future loi n'était pas prévu pour cibler les auteurs de fausses nouvelles mais «ceux qui les diffusent». Elle a aussi signalé que la création d'une liste noire des sites spécialisés dans la désinformation était envisagée à destination des annonceurs, afin d'endiguer leur financement. Pour l'heure, elle n'a pas précisé la manière dont la liste serait élaborée ni les noms qui y figureraient.
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Le grand dispositif annoncé par les deux ministres pose question quant à ses objectifs
Jusqu'ici, aucune preuve de «fake news» de la part de RT France n'a été fournie. Le secrétaire d'Etat au Numérique Mounir Mahjoubi avouait lui-même dans une interview accordée à la chaîne Arte début 2017 et diffusée le 13 mars dernier ne pas pouvoir citer d'exemples de fausses nouvelles sur RT France : «C'est plus ensuite un état d'esprit permanent», confiait-il.
Christophe Bigot, avocat spécialisé en droit de la presse, faisait remarquer le 4 avril sur notre antenne que ce projet de loi était «inutile» puisqu'il existe déjà en France «des instruments dans le droit de la presse qui permettent de lutter contre ce qu'on a appelle les fake news». Fustigeant une proposition «archaïque», Christophe Bigot expliquait que cette loi «permettra d'interdire un média dès lors qu'il est étranger». L'avocat s'est aussi interrogé sur «la constitutionnalité de ce projet de loi» et a alerté sur les risques d'atteinte à la liberté de la presse eu égard à la difficulté dans certains cas de prouver qu'une information est fausse.
Le texte est actuellement étudié par le Conseil d'Etat et devrait être présenté à l'Assemblée nationale le 11 juin. Le gouvernement s'est fixé pour objectif de rendre le texte opérationnel avant les élections européennes de 2019.