France

Agriculteurs reçus par Macron : «Coup de com'» ou manière de «passer la pommade», redoutent certains

Alors que le monde paysan gronde, Emmanuel Macron a invité 1 000 jeunes agriculteurs à une réception à l’Elysée, à la veille du Salon de l'agriculture. Un coup de communication ? De jeunes exploitants ont confié à RT France leur perplexité.

Opération séduction ou réelle volonté de recueillir les doléances des agriculteurs d'aujourd'hui, mais surtout de demain ? Le président français a convié 1 000 agriculteurs à une réception à l’Elysée le 22 février, deux jours avant le lancement du Salon de l'Agriculture.

Une invitation en grande pompe dont la tenue ne peut faire oublier les blocages et protestations qui ont agité le monde agricole ces dernières semaines, les exploitants s'élevant contre les prix d'achat de la grande distribution et la réforme des zones défavorisées. Deux jeunes agriculteurs du Morbihan ont confié leur scepticisme à RT France. 

35 préfets ont chacun été chargés par l'Elysée de choisir une dizaine de jeunes agriculteurs selon des critères précis : avoir moins de 35 ans, s'être installé en 2017 et être affilié à des syndicats variés. Le tout en respectant la parité homme femme. L’Elysée a déclaré souhaiter convoquer «la génération Y de l’agriculture», celle-là même qui «devra relever l’ambition de faire de la France le pays où on mange le mieux, le plus sainement et le plus durablement [possible]».

Les jeunes exploitants ont des choses à dire... si c'est possible

Bertrand Chevalier, 26 ans, est à la tête d'un cheptel de 125 vaches laitières dans le Morbihan depuis mars 2017. Il fait partie des 1 000 jeunes agriculteurs sélectionnés qui auront la chance de boire une coupe sous les ors de la République. Que pense-t-il de cet événement ? «Cela dépend du but poursuivi», estime-t-il. «Si c'est pour nous écouter, très bien. [Emmanuel Macron] sait que le Salon de l'agriculture va être très tendu. Si c’est juste pour nous passer de la pommade dans le dos, pour dire ensuite que les vieux grincheux du Salon n’aiment pas Emmanuel Macron mais que nous oui, alors ça n'ira pas», poursuit-il. 

Je demanderai si l’Etat veut encore des agriculteurs

Quel message entend-il faire passer ? «Je ne sais pas si on aura le droit de parole», s'interroge-t-il. «Mais si c'est le cas, je demanderai si l’Etat veut encore des agriculteurs. La filière bio fait de la qualité, et le conventionnel aussi. Or, on va signer les accords du Mercosur avec l'Amérique latine, qui va autoriser l'importation de denrées cultivées avec des produits interdits en France !», se plaint-il. Autre sujet d'irritation : les accords signés avec les grandes surfaces suite aux Etats généraux de l'alimentation. «On n'est pas respecté dans cet accord, alors qu'elles s'y étaient engagées. Nous sommes la variable d'ajustement», dénonce-t-il.  

A ce sujet, le gouvernement a présenté fin janvier un projet de loi sur l’alimentation censé mieux rémunérer les producteurs agricoles, dans le cadre de leurs négociations avec les industriels et les distributeurs.

On ne veut pas d'argent de l'Etat, on veut vivre de notre métier

Bertrand Chevalier note qu'Emmanuel Macron a promis un plan d'aide de 5 milliards d'euros pour l'agriculture. «Mais on ne veut pas d'argent de l'Etat, on veut vivre de notre métier. Si les distributeurs m'achetaient le lait juste un peu plus cher, il n'y aurait une répercussion que de 4 centimes par litre pour le consommateur. N'est-ce pas important de concéder cette dépense pour acheter français et que nos agriculteurs soient protégés ? Il faut insister sur le "manger français"», insiste-t-il. «Et pour renouveler les générations chez les agriculteurs, pour rendre ce métier attractif, il faudrait qu'on puisse toucher un salaire à la fin du mois !», ironise-il.

A ce sujet, Kevin Thomazo, secrétaire du syndicat des Jeunes agriculteurs du Morbihan, dégaine les chiffres fournis par la Mutualité sociale agricole : en 2016, près de 20% des exploitants ne pouvaient pas se verser de salaire alors que 30% d'entre eux touchaient moins de 350 euros par mois, sachant que les jeunes sont selon lui plus vulnérables. «Les coûts de reprise des exploitations sont très élevés, car il y a du foncier, des investissements à faire sur des exploitations vieillissantes. Et la conjoncture n’est pas favorable au remboursement de ces emprunts», explique-t-il à RT France.

«C'est bien d’inviter les jeunes, mais est-ce qu’ils vont leur laisser la parole ? J'ai l'impression que c’est un coup de com'», conclut-il. 

La grogne des agriculteurs 

Ces dernières semaines, des manifestations et blocages ont été organisés dans toute la France, suite à l’annonce de la réforme de la carte des zones soumises à des contraintes naturelles (ZSCN), qui permet aujourd'hui à 52 500 agriculteurs de bénéficier d’une indemnité européenne.

Si 60 000 agriculteurs pourraient la toucher selon la nouvelle carte, certains départements pourraient être lésés, comme le Gers, l'Indre-et-Loire, l'Aveyron ou les Deux-Sèvres. Opérations escargot, blocages de routes, ou blocages de supermarchés pour obtenir de meilleurs prix d’achat ont fleuri dans toute la France ces dernières semaines.

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