Le nouveau baccalauréat arrive. Prévu pour 2021, le projet de Jean-Michel Blanquer a été présenté le 14 février en conseil des ministres. Parmi les changements notables :
- la disparition des filières L (littéraire), ES (économique et social) et S (scientifique), remplacées par un «socle de culture commune» pour l'ensemble des élèves (comprenant sept matières) ainsi que des options ;
- un examen qui ne comptera plus que quatre épreuves écrites et un grand oral ;
- l'apparition d'un contrôle continu, comptant pour 40% de la note finale.
Contacté par RT France, Samuel Cywie, porte-parole de la Fédération des parents d'élèves de l'enseignement public (Peep), se montre favorable à ce nouveau bac. Egalement joint par notre rédaction, Michaël Marcilloux, secrétaire national de la CGT Educ'action (union nationale des syndicats de l’Education nationale CGT) est, lui, beaucoup plus critique.
RT France : Quel est votre point de vue général sur cette réforme du baccalauréat ?
Samuel Cywie (S. C.), pour la Peep : Cela reprend les grandes lignes du rapport Mathiot [auteur du rapport Un nouveau baccalauréat pour construire le lycée des possibles, publié le 24 janvier 2018] qui était largement soutenu par notre fédération. L’organisation plus modulaire avec des majeures [formant un «socle de culture commune»] nous semble intéressante. L’objectif voulu est d’avoir des majeures exigeantes qui feraient que, par exemple, un élève littéraire choisirait réellement une filière littéraire. Or, en ce moment, beaucoup des meilleurs littéraires vont vers la filière scientifique. Ce qui concourt à dénaturer le bac scientifique et surtout à dévaloriser le bac littéraire. La Peep espère qu'on arrivera à casser cette logique qui n’est pas bonne, et qu’on pourra valoriser de la même façon les majeures littéraires et les majeures scientifiques.
Michaël Marcilloux (M. M.), CGT Educ'action : Cette réformeconfirme ce que l’on reprochait déjà au projet de Pierre Mathiot. C’est la mise en place d’un lycée qui prépare ouvertement à la sélection avant l’entrée à l’université, sélection que nous combattons. C’est un lycée qui oriente et spécialise beaucoup plus fortement les élèves et plus rapidement. En effet, le choix des spécialités va répondre aux «attendus» mis en place pour l’entrée à l’université. Ainsi, le choix des spécialités, dès la fin de la seconde, va finalement les orienter vers leurs futures études et leur future licence. Jusqu'ici un élève qui faisait une S pouvait très bien faire le choix d’une licence en histoire-géo, ou en français et inversement pour des élèves de L. Le baccalauréat est le premier grade universitaire et permet d’entrer à l’université dans la licence du choix de l’élève. Désormais, le choix des spécialités bloquera l’entrée dans certaines licences, cela bouchera donc les possibilités pour les élèves sortant de la terminale.
RT France :Le nouveau baccalauréat verra la fin des séries L, ES et S. Est-ce une bonne orientation ?
M. M. : On voulait le maintien des séries comme elles existent actuellement mais avec une forme de généralisation de ces séries pour permettre à chaque élève de choisir sa poursuite d’étude. Cela permettrait justement à des élèves qui auraient fait le choix de prendre une série scientifique de pouvoir, malgré tout, non seulement s’inscrire en licence littéraire, mais aussi la suivre dans les meilleures conditions. Réciproquement les littéraires auraient pu intégrer une licence scientifique. Il aurait fallu aussi des SES [sciences économiques et sociales] pour tout le monde : c’est quand même la grande absente de cette réforme! Ainsi, on estime que les élèves de sciences ou de série littéraire n’ont pas le besoin d’avoir une réflexion sur les enjeux économiques et sociaux, c’est assez regrettable. Le tronc commun [les majeures] est aussi extrêmement amaigri. Vous voyez qu’il n’y a que deux heures [par semaine] de culture scientifique. Les littéraires continueront donc à ne pas faire de sciences, continueront de se voir boucher certaines licences et de se voir reprocher leurs difficultés en sciences. On est un peu dans l’aberration.
S. C. : Il faut sortir de ces séries. Avec les séries, on arrive à une hiérarchisation : des élèves qui ne pouvaient aller en S se retrouvaient en ES, et en L. On avait consulté les parents qui étaient en grande majorité pour la disparition des séries. Pour nous, c’est une évolution intelligente et cela n’enlève pas de visibilité. Pour les gens qui sont complètement en dehors du système, parler de majeures, maths-physiques par exemple, c’est plus parlant que de dire, je vais faire un bac S. En créant des majeures exigeantes, on espère qu’un bon littéraire, plutôt que de se dire «je vais en bac S parce qu'avec un bac S je peux aller n’importe où», aille en filière littéraire. C’est de nature à casser la hiérarchisation puisqu’on a besoin tout autant de bons littéraires que de bons scientifiques ou de gens passionnés par l’économie. Vu que la volonté [du gouvernement] est d’avoir des programmes exigeants partout, le choix de la majeure ne serait plus un choix par défaut mais un choix de vrai volonté et de goût pour la matière. Aujourd’hui vous remarquerez qu’un grande partie des élèves de khâgne viennent de bac S, c’est quand même ridicule.
RT France : Selon vous, comment des lycées publics, privés et de territoires différents vont pouvoir être égaux quand 40% de la note finale est déterminée par un contrôle continu ?
S. C. : On [la Peep] a été très surpris de voir que la majorité écrasante des parents étaient, après consultation, pour la prise en compte du contrôle continu dans le baccalauréat. Pour eux, il est normal que l’effort régulier de l’enfant soit pris compte dans le baccalauréat. Le fait d’avoir 60% de la note finale sur des épreuves finales laisse un caractère d’examen quand même rituel au baccalauréat. Mais il est vrai que sur le contrôle continu, il faudra être vigilant. Il y aura quand même une pression des parents, notamment sur les professeurs, par rapport aux notes du bulletin. Ils vont être très stressés avec cela. Il faudra faire en sorte que les notations soient justes. Il est clair que l’institution devra être vigilante pour ne pas qu’il y ait une inflation des notes. Car si on arrive au même stade que le brevet, où tout le monde l’a à cause de bonnes notes, il n’y aura plus aucune sélection possible. Cela risque de faire complètement s’écrouler le système. Aussi, Parcoursup [service qui permet d'affecter les lycéens de Terminale désirant poursuivre des études dans l'enseignement supérieur] est presque plus important que l’examen. Aujourd'hui avec Parcoursup, si vous venez d’un établissement prestigieux, ou si vous venez d’un établissement plus difficile, les notes ne sont, de toute façon, pas triées de la même façon. Les inégalités existent déjà. Désormais, et cela nous semble très intéressant, Parcoursup prendra en compte les notes des majeures aux épreuves finales. Pour nous c’est très important car c’est de nature à revaloriser l’examen et à sortir des idées préconçues sur certains établissements. De fait, on pourra avoir des élèves d’établissements difficiles qui peuvent avoir des notes extraordinaires dans les épreuves finales et pourront intégrer des formations. Des formations dans lesquelles, jusqu'à présent, on ne les aurait pas pris à cause de leur établissement d'origine.
M. M. : C'est une évidence qu'il y aura des inégalités. C’est d’autant plus évident qu’en ce moment, d'après ce qui nous est rapporté des milieux universitaires, l'un des critères du tri des candidatures sur Parcoursup est géographique. On pourrait dire «pourquoi pas» à l’idée qu'on choisisse en priorité des élèves qui sont proches de leur université. Ce serait intéressant. Sauf que le choix qui est fait dans certaines universités, c’est d’utiliser le code postal. Or, le code postal, cela dit notamment que l’élève vit à Saint-Denis et ne vit pas à Enghien-les-Bains par exemple. On aura donc une forme de bac maison. Et, d'autre part, ce qui nous inquiète aussi est qu'on est en train de faire du lycée général une espèce de mini-université. Mais alors, quel est l’avenir pour les élèves des voies technologiques et professionnelles ? Là aussi on a l’impression qu’il y a un tri social qui se fait, dès la fin du collège, pour les enfants qui vont dans la voie professionnelle, et, dès la fin de la seconde, pour les élèves qui vont dans les voies technologiques.
RT France : Le ministère de l'Education nationale estime à 60% le taux d'échec en première année de licence pour les jeunes bacheliers. Est-ce qu'une réforme du bac n'était pas nécessaire pour lutter contre l'échec scolaire en enseignement supérieur ?
M. M. : C’est ce qui est dit mais c’est parfaitement hypocrite.Pour notre part, on parle de 20 à 30% d’échec en licence. Mais si on ramène les chiffres à l’échec réel à l’université, ce n’est plus du tout le même. Effectivement des élèves échouent en première année de licence mais réussissent, malgré tout, leur cursus universitaire à la fin. Il faut donc relativiser cet échec-là. Le choix qui a été fait par le gouvernement, pour réagir à ce taux d’échec, ce n’est pas du tout d’aider les élèves, c’est plutôt de faire en sorte que les élèves qui échouent dans certaines licences n’y entrent plus.
Non, pour lutter contre l’échec à l’université, il faut que les élèves puissent avoir un enseignement général le plus large possible pour qu’ils arrivent à avoir une bonne maîtrise de tous les aspects de la culture générale. Il leur faut aussi des amphis moins remplis, des moyens universitaires permettant de faire plus de pédagogie et permettant d’adapter le parcours des élèves. Néanmoins, ces moyens n’existent pas et le ministère ne compte pas les mettre en œuvre.
S. C. : Il était en tout cas nécessaire de réformer le baccalauréat. Aujourd’hui, durant les deux dernières années du lycée, l’élève doit effectivement passer 15/16 épreuves. C’est quand même beaucoup d’énergie et de moyens dépensés pour un examen qui n'a plus autant d’utilité, avec un taux de réussite qui est au-dessus de 85%... En plus, le bac est dénaturé par le fait que les élèves sont plus intéressés par Parcoursup. Là, limiter les épreuves, faire en sorte qu’une partie des épreuves compte dans Parcoursup et récompense aussi l’effort constant de l’élève, cela nous semble être de nature à redonner du sens à l’examen. Il fallait une réforme réaliste, Jean-Michel Blanquer ne pouvait pas aller beaucoup plus loin, à mon sens. Il propose déjà un gros changement, alors qu'un certain nombre de ministres se sont déjà cassés les dents sur cette réforme.
Bastien Gouly