Fruit d'une investigation de plus de six mois et reposant sur le témoignage de plusieurs policiers, une enquête publiée par Mediapart le 4 janvier 2018 épingle la direction du renseignement de la préfecture de police de Paris (DRPP) dans l'attentat de Saint-Étienne-du-Rouvray. Les faits remontent au 26 juillet 2016. Le père Jacques Hamel est alors assassiné dans son église par deux islamistes, Adel Kermiche, sous contrôle judiciaire, et Abdel Malik Nabil-Petitjean. Un acte qui avait été revendiqué le jour même par l'organisation terroriste Daesh.
L'attentat aurait-il pu être évité ?
Selon les informations du média en ligne, la DRPP aurait bel et bien eu connaissance des messages de l’un des deux tueurs, et ce plus d'une semaine avant l'égorgement du père Hamel.
Selon Mediapart, un service de police, la section T1, chargée de la lutte antiterroriste au sein de la DRPP, aurait ainsi intercepté et décrypté un message électronique d'Adel Kermiche, daté du 19 juillet, dans lequel il se moque des autorités : «Mort de rire, je suis dissimulé. Là je ne suis pas grillé, tranquille. Aucun soupçon. Gloire à Allah, il les aveugle».
En s'infiltrant sur une conversation du service de messagerie cryptée Telegram baptisée «Haqq-Wad-Dalil» (La vérité et la preuve) et rassemblant des partisans de Daesh, le renseignement français réussit, cinq jours avant l'attentat, à suivre Adel Kermiche et parvient à connaitre certains préparatifs de l'acte à venir. Sauf que les informations ne sont pas parvenues à la DGSI et, «une fois le crime survenu, la hiérarchie aurait alors fait postdater des documents pour masquer sa responsabilité» selon plusieurs témoignages concordants cités par Mediapart.
Traque sur le net
Les cyberpatrouilleurs traquent les potentiels terroristes dont Adel Kermiche. Un rapport de police mentionnera, après les faits tragiques, que ce dernier avait «un profil djihadiste qui s’orientait de manière explicite vers l’organisation Etat islamique». Durant la surveillance, et avant le passage à l'acte, l'un des policiers remarque d'ailleurs le projet d'Adel Kermiche, celui de créer un Etat islamique en France, avec la mise en place d'un émir qui permettrait «aux frères de s'entraider pour partir ou préparer des choses ici».
Alors qu'il est sous pseudo, Adel Kermiche donne assez de détails pour que les services de renseignement l'identifient. Affichant sa volonté de «faire un carnage en tranchant deux ou trois têtes», il préconise notamment dans un message vocal long de 7 minutes et 20 secondes l'attaque d'églises. Mediapart reprend un rapport, consacré à l'assassinat du père Hamel, dans lequel les renseignements notaient que le terroriste «incitait ses abonnés à se procurer des armes pour mener à bien ce type d’attaque».
Le policier, nommé Paul (un prénom choisi au hasard) par Mediapart, qui constate toutes les intentions de l'islamiste, remplit une fiche Gesterext, le fichier de renseignement dévolu à la DRPP. Cette note a pour finalité de «prévenir les actes de terrorisme», de «surveiller les individus, groupes, organisations et phénomènes de société susceptibles de porter atteinte à la sûreté nationale». Il se serait apprêté à dévoiler ces informations à la direction générale de la Sécurité intérieure (DGSI) qui contrairement à la DRPP, est compétente pour les menaces non pas uniquement sur le secteur parisien mais sur le territoire national.
La fiche de signalement se perd
Sauf que les deux services échangent peu, et seuls certains agents peuvent directement traiter avec l'autre administration. Paul, lui, n'a pas ce droit là. Selon Mediapart, il doit transmettre sa note, destinée à être corrigée et validée par quatre échelons hiérarchiques. Et quand certains d'entre eux sont en vacances, d'autres sont débordés. Les informations de Paul se perdent donc dans les fichiers informatiques.
La veille de l'attentat dans l'après-midi, Adel Kermiche divulgue des nouvelles sous forme d'adieu sur le groupe Telegram, et promet à ses abonnés de se préparer à relayer un contenu «exceptionnel» et «surprenant». Le même jour, il se présente en tenue de camouflage sur le réseau social Snapchat aux côté de son compère Abdel Malik Nabil-Petitjean.
Le mardi 26 juillet, à une heure de l'attentat, il se fait encore plus précis, demandant aux utilisateurs de sa chaîne : «Télécharger ce qui va venir et partager le en masse !!!!! [sic]»
Après l'assassinat barbare du père Hamel, au terme duquel les deux assaillants seront abattus par les forces de l'ordre, la DRPP panique, selon le journal. Elle s'aperçoit en effet avoir omis de transmettre les éléments en sa possession sur l'assassin, disponibles plusieurs jours avant le drame.
Falsification de documents
Dans l'embarras le plus total, la hiérarchie convoque alors Paul. Celle-ci lui ordonne «d'écraser sa fiche» sur le terroriste pour éviter tout scandale.
D'ailleurs, Mediapart affirme, après avoir recueilli le témoignages de plusieurs sources, que Paul se voit demander de réécrire «les documents en les postdatant au jour même afin de masquer l’énorme bévue de la DRPP». Sauf que l'informatique laisse des traces.
Ainsi, la date de création du document, qui se trouve facilement dans l'onglet des propriétés, affiche toujours l'ancienne, soit quelques jours avant l'attentat. Voyant cette faille, la direction impose précipitamment à Paul de modifier cette date et lui ordonne également d’effacer son historique de navigation les jours où il accumulait des preuves contre Adel Kermiche.
Une falsification dénoncée et mise en avant par le média en ligne. Ce dernier a évidemment tenté de joindre la direction de la section T1 de la DRPP, sans succès.
Lire aussi : Retour de Syrie : deux Français interpellés à l'aéroport de Roissy