France

Affaire Haziza : quand François de Rugy s'inquiétait des «rumeurs qui pourraient nuire à LCP»

La plainte pour agression sexuelle visant Frédéric Haziza interroge quant aux soutiens dont il aurait bénéficié. Les témoignages évoquent une véritable «impunité» conférée par sa proximité avec la direction de LCP... et avec les politiques?

Le journaliste phare de La chaîne parlementaire (LCP) Frédéric Haziza, est accusé d'agression sexuelle par une de ses anciennes collègues, Astrid de Villaines, qui a déposé plainte le 19 novembre. Au-delà de l'affaire judiciaire, se pose la question des appuis et de l'impunité dont aurait bénéficié le journaliste selon plusieurs témoins.

En effet, les personnes interrogées par BuzzFeed laissent entendre que les agissements de Frédéric Haziza étaient bien connus chez LCP : de nombreuses personnes décrivent un homme «parfois agressif», «aux mains souvent baladeuses» et «à l'humour salace».  En outre, grâce à son «influence», Frédéric Haziza aurait joui d'une certaine «impunité» d'après ses collègues.

Si les cas de harcèlement ou d'agressions sexuelles sont malheureusement souvent tus, voire dissimulés, le cas de Frédéric Haziza revêt un caractère particulier, en raison non seulement de la notoriété du journaliste concerné, mais aussi parce que le silence autour de ses agissements semble avoir solidement résisté aux démarches de la plaignante, dans un environnement où chacun semble avoir préféré détourner le regard.

L'étonnante réaction de François de Rugy

L'actuel président de l'Assemblée nationale François de Rugy, qui n'est alors encore que député, participe en décembre 2016 à un conseil d'administration de LCP, en compagnie de plusieurs autres de ses collègues. Isabelle Attard, élue écologiste, est également présente. Elle a été «informée par diverses sources» des gestes plus que déplacés dont est accusé Frédéric Haziza et entend en faire part aux dirigeants présents. François de Rugy prend donc connaissance de ces accusations très graves et s'appuyant sur plusieurs témoignages de femmes.

Marie-Eve Malouines, nommée présidente de la chaîne en 2015, assure ne pas avoir eu connaissance de ces accusations. Ne pouvant agir faute d'éléments concrets, elle rassure néanmoins Isabelle Attard en lui précisant que des structures ont été mises en place, conformément à la loi, au sein de la chaîne. Elle lui conseille d'orienter les femmes s'étant plaintes vers celles-ci.

C'est alors qu'entre en scène François de Rugy. D'emblée, le député prend le parti de qualifier les accusations évoquées par sa collègue de «rumeurs», comme en atteste le compte-rendu de la réunion. Alors qu'Isabelle Attard se dit «rassurée» de savoir qu'il existe une structure compétente au sein dans l'entreprise, François de Rugy, lui, est inquiet. Il dit en effet considérer «avec gravité» le sujet, non pas tant parce qu'il s'agit d'une présumée agression sexuelle, mais parce qu'il craint de voir «se propager de telles rumeurs qui pourraient nuire à LCP». Pourtant, comme le rappelle BuzzFeed, à cette époque, Frédéric Haziza avait déjà fait l'objet d'un avertissement...

La direction de LCP a-t-elle couvert Frédéric Haziza ?

Qui était au courant des agissements présumés de Frédéric Haziza ? A-t-il été couvert par sa direction et plus précisément par la directrice de LCP, Marie-Eve Malouines ? Dans un billet publié en février sur Mediapart, le géopolitologue Pascal Boniface liait l'élection de la nouvelle directrice de LCP à sa proximité avec Frédéric Haziza.

Selon Pascal Boniface, Frédéric Haziza aurait voulu «faire payer» à l'ancien directeur de la chaîne «l’outrecuidance qu’il avait eue en lui rappelant la nécessité de respecter quelques règles déontologiques», sans toutefois préciser s'il était question du fameux avertissement de 2014. Il aurait donc soutenu la candidature de Marie-Eve Malouines, dont il serait «très proche» selon un salarié de LCP interrogé par BuzzFeed.

Rapidement, cette dernière avait annoncé son intention de porter plainte contre Pascal Boniface. Dénonçant un texte «faisant état de faits parfaitement inexacts», elle accusait le géopolitologue de vouloir «entacher [sa] réputation professionnelle». Or, passé le délai imparti pour le dépôt de plainte, Pascal Boniface annonçait finalement que l'intéressée n'avait entamé aucune démarche. «Elle a très prudemment évité un débat public qui aurait mis en lumière ses turpitudes», écrivait-il alors.

«C'est un homme qui sait montrer qu'il est puissant et qui a de nombreux contacts. Il tutoie François Hollande, Nicolas Sarkozy ou Manuel Valls... L'attaquer, ça fait peur», ajoute un salarié de LCP. Nul doute que Frédéric Haziza est un homme d'influence. Mais a-t-il profité de cette dernière pour étouffer les accusations portées contre lui ? Sans doute la justice sera-t-elle amenée à se pencher sur cet aspect de l'affaire en traitant la plainte d'Astrid de Villaines.

Haziza finalement suspendu par LCP

Des responsables de LCP cités par l'AFP ont fait savoir, le soir du 21 novembre, que Frédéric Haziza était suspendu de la chaîne. 

Quelques instants plus tôt, le site d'information Arrêt sur Images avait fait savoir que LCP avait décidé de maintenir l'émission «Question d'info» présentée par Frédéric Haziza.

LCP a par ailleurs annoncé, le même 21 novembre, qu'une enquête interne avait été diligentée. «Marie-Eve Malouines, présidente de LCP, a réaffirmé devant l'ensemble du personnel ce jour sa volonté de protéger les victimes de harcèlement», a-t-il été déclaré dans un communiqué de la direction de la chaîne. Se saisissant de l'affaire, le parquet de Paris a ouvert une enquête préliminaire.

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