Après onze heures d'audience, le parquet de Créteil a réclamé dans la nuit du 16 au 17 novembre 18 mois de prison avec sursis et 40 000 euros d'amende à l'encontre de l'actuel président de Radio France Mathieu Gallet, qui a dirigé l'INA entre 2010 et 2014.
Le haut fonctionnaire est soupçonné d'avoir «favorisé» certaines sociétés de conseil, auxquelles l'établissement public a versé plus de 400 000 euros.
Le tribunal correctionnel a notamment tenté de comprendre le rôle de Denis Pingaud, un professionnel de l'audiovisuel engagé par Mathieu Gallet comme «conseiller externe», pour la communication de l'INA. Rémunéré 5 000 euros par mois, Denis Pingaud a ainsi perçu au total 130 000 euros hors taxes, facturés par une société qu'il dirigeait : Balises. Pourquoi alors ne pas l'avoir mis en concurrence, puisque cette somme dépassait le seuil obligeant l'INA à respecter les règles des marchés publics?
«Avant mon arrivée à l'INA, je n'avais jamais été confronté à ces questions de marché public», s'est ainsi défendu Mathieu Gallet, diplômé d'analyse économique des décisions publique en 2000. «C'était quelque chose qui m'était totalement inconnu», a-t-il poursuivi, en avouant s'être «reposé sur les équipes en place», qui ne lui ont pas transmis de «signaux d'alerte» sur la nécessité de mettre son conseiller en concurrence.
Un «coach personnel» pour lancer sa candidature à Radio France?
Mais pour la procureure, Denis Pingaud aurait plutôt servi de «coach personnel» à Mathieu Gallet, financé «avec de l'argent public», notamment pour lancer sa candidature à la direction de Radio France. «Laisser accroire que Denis Pingaud a fait ma candidature pour Radio France, c'est au minimum insultant, au pire diffamatoire», a répondu l'actuel président de Radio France.
Les investigations pointaient également d'autres irrégularités, avec la société de conseil Roland Berger Strategy. L'INA avait conclu avec elle un marché public de 289 000 euros hors taxes, au terme d'un appel d'offres de cinq jours en 2013. «Trop court», selon la procureure qui a également estimé que Mathieu Gallet avait faussé la concurrence en laissant entendre à Roland Berger dès 2010 que l'INA aurait besoin de conseils pour fusionner certaines de ses directions.
Pour les avocats de Mathieu Gallet, il ne s'agit cependant que d'une «énorme confusion» sur l'attribution du marché public. La procédure se serait faîte «en deux temps» : si les sociétés n'avaient effectivement que quelques jours pour envoyer leur «fiche d'identité» à l'INA, elles disposaient en revanche de plusieurs semaines pour formuler une véritable offre commerciale.
Des explications qui sont loin d'avoir convaincues Jérôme Karsenti, l'avocat d'Anticor, une association qui lutte contre la corruption. Que ce soit pour Denis Pingaud ou pour Roland Berger, «les faits [de favoritisme] sont parfaitement constitués», a-t-il estimé. Partie civile, l'association avait dès 2015 porté plainte contre la gestion à l'INA. Maître Karsenti a par ailleurs regretté «le traitement tout à fait insatisfaisant du dossier» par le parquet, en s'étonnant que Denis Pingaud et Roland Berger ne soient pas eux aussi jugés. «S'il y a une infraction de délit de favoritisme, il y a du recel de favoritisme», a-t-il fait valoir.
Lire aussi : Mathieu Gallet officiellement blanchi par L’IGF