France

Loi antiterroriste: l'Assemblée vote l'article sur les assignations à résidence hors état d'urgence

L'Assemblée a voté dans la nuit du 26 au 27 septembre l'article permettant des assignations à résidence, hors état d'urgence, dans le projet de loi antiterroriste. Dans le même temps, l'ONU émet des inquiétudes sur de possibles dérives sécuritaires.

Lors du vote à main levée à l'Assemblée, le gouvernement et les députés LREM ont défendu l'«équilibre» du dispositif que constituent selon eux les assignations à résidence, hors état d'urgence, dans le projet de loi antiterroriste.

En face, la gauche de la gauche a dénoncé «une république des suspects», et des élus LR et FN ont critiqué des assignations «au rabais».

L'article 3 du texte permet au ministère de l'Intérieur de prendre des «mesures individuelles de surveillance» à l'égard de personnes soupçonnées d'une sympathie avec la mouvance terroriste tout en ne disposant pas d'éléments suffisants pour les poursuivre en justice. Il remplace les assignations à résidence qui étaient prévues par l'état d'urgence. 

La durée totale d'assignation dans un périmètre donné pourra être d'un an maximum.

Le texte ne prévoit pas de contrôle d'un juge a priori. La personne surveillée pourra, dans les 48 heures, saisir le juge administratif qui devra statuer sur sa demande, recours retardant d'autant l'application éventuelle.

A la différence de ce prévoyait l'état d'urgence, le périmètre des assignations s'étendra au minimum à la commune, lieu du seul domicile, et devra permettre à l'intéressé de poursuivre sa vie familiale et professionnelle. Le périmètre pourra être étendu dans certains cas au département, si la personne accepte de porter un bracelet électronique. 

Les personnes concernées devront se présenter à la police une fois par jour, contre trois fois sous l'état d'urgence, et «fournir tous leurs numéros de téléphone et identifiants de communication électronique».

Un amendement MoDem de l'ancienne magistrate Laurence Vichnievsky visant à soumettre la prolongation des assignations à l'aval d'un juge judiciaire (au lieu du contrôle a posteriori du juge administratif), parce que selon elles «ces mesures constituent des restrictions très sévères à la liberté d'aller et de venir» a été rejeté.

Une mesure «restrictive»

Si les Insoumis l'ont appuyée au motif que cela «améliorerait a minima le dispositif», le ministre de l'Intérieur Gérard Collomb et le rapporteur ont répété que l'assignation n'était pas une mesure «privative» de liberté (qui devrait être soumise à l'aval d'un juge judiciaire) mais «restrictive». 

Les députés La France insoumise, le PCF, mais aussi des élus corses, ont échoué à faire supprimer l'ensemble de l'article qu'ils qualifient de liberticide. 

Le rapporteur Raphaël Gauvain (LREM) a défendu la nécessité de mesures administratives de surveillance face à «une zone d'ombre ou les services de renseignements disposent d'indices ne pouvant pas être judiciarisés». 

L'Insoumis Ugo Bernacilis s'est alarmé d'une «ère du soupçon». «Soit il y a des éléments qui peuvent être judiciarisés, soit il n'y en a pas», considère-t-il. Le communiste Jean-Paul Lecoq évoque une «république des suspects».

«On ne lutte pas contre Daesh en bafouant le minimum des règles de notre République», a estimé pour sa part Clémentine Autain de La France insoumise.

«Que des mesures soient utiles à la sécurité des Français et que cela vous dérange, je trouve cela regrettable», a lancé Sacha Houlié (LREM).

Les principaux orateurs LR, qui ont dénoncé une «assignation au rabais», ont vainement tenté de transposer a minima le régime d'assignation à résidence dans le droit commun de l'état d'urgence. Guillaume Larrivé a proposé une nouvelle fois de placer les assignés en centre de rétention, mesure déjà jugée inconstitutionnelle dans le passé par le Conseil d’Etat, comme l'a rappelé Gérard Collomb.

Le FN a également défendu le durcissement d'un article de «mansuétude», pas à la «hauteur de la menace» et de «gens pour qui la mort est une consécration».

Le ministre n'a cessé d'invoquer l'«équilibre entre sécurité et liberté», ironisant aussi sur les positions des députés LR plus dures que celles des sénateurs et assurant, entre autres, que les 4 400 personnes de la DGSI pouvaient contrôler les 39 personnes assignées à résidence aujourd'hui.

Un des accrochages de la soirée a opposé Aurore Bergé, porte-parole des députés LREM transfuge de LR, au Républican Fabien Di Filippo. Comme elle épinglait un amendement identique au FN porté par ce député, confirmation à ses yeux d'une «radicalisation» des Républicains, l'élu l'a attaquée pour ses «convictions à géométrie variable».

Inquiétudes de l'ONU

Deux experts de l'ONU en matière de droits de l'homme ont par ailleurs fait part le 27 septembre de leur inquiétude devant le projet de loi antiterroriste français, susceptible selon eux de pérenniser les mesures d'urgence introduites en 2015 et d'établir ainsi en droit un état d'urgence permanent.

«La normalisation par ce projet de loi des pouvoirs d'urgence menace gravement l'intégrité de la protection des droits en France, tant dans le cadre de la lutte contre le terrorisme que plus largement» a estimé l'experte des droits de l'homme des Nations unies, l'Irlandaise Fionnuala Ni Aolain, dans un communiqué diffusé par le conseil des Droits de l'homme de l'ONU.

«Alors que la France renforce sa lutte contre le terrorisme, le projet de loi comprend un certain nombre de mesures de sécurité qui intégreront dans le droit commun plusieurs des restrictions aux libertés civiles actuellement en vigueur dans le cadre de l'état d'urgence en France», selon l’experte.

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