Après la démission du chef d'état-major Pierre de Villiers, en raison des coupes budgétaires imposées à l'armée, plusieurs voix se sont élevées pour prendre la défense du haut-gradé, y compris au sein de la grande muette. Le général Vincent Desportes a ainsi déploré sur BFMTV une crise extrêmement grave. «La plus haute crise politico-militaire en France depuis le putsch des généraux [contre De Gaulle] en 1961», a-t-il estimé, soupçonnant que le général de Villiers avait en réalité été démissionné.
Et pourtant, ça ne moufte guère dans les rangs de La République en marche (LREM). Gilles Le Gendre, vice président du groupe parlementaire LREM, a tout de suite tenté de désamorcer toute critique, en déclarant son groupe incompétent. «La démission du général de Villiers n'est pas foncièrement un sujet sur lequel [le groupe LREM est] amené à prendre position», a-t-il déclaré à l'AFP ce 19 juillet 2017.
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Le ton est républicain et les recadrages policés. Mais le message est clair : la critique est permise à condition qu'elle soit modérée, et pertinente. Problème : c'est l'exécutif, juge et partie, qui décide de la pertinence des objections qu'on pourrait lui faire. Le chef d'état-major Pierre de Villiers en a fait les frais, en raison de ses propos iconoclastes devant la commission de la Défense de l'Assemblée nationale.
Aussi le chef d'état-major, qui ne voulait pas se faire «baiser» par Bercy semble-t-il avoir été victime essentiellement de la médiatisation de sa petite phrase, révélée par Les Echos à la veille du 14 Juillet. Un coup de loupe médiatique malheureux, alors qu'en réalité beaucoup de choses se disent dans les commissions de l'Assemblée, où les intervenants sont précisément invités à s'exprimer librement. Une autocensure serait en effet préjudiciable au travail des commissions parlementaires : avant de trancher, le débat se doit, en théorie, d'être contradictoire et ouvert.
La démocratie de la boîte à idées
Aussi, l'épisode Pierre de Villiers ne fait que confirmer les craintes, déjà exprimées notamment dans les médias – et par RT France alors que la «macron-mania» médiatique battait encore son plein – concernant l'approche «jupitérienne» du pouvoir d'Emmanuel Macron. Ou, pour reprendre l'expression de la juriste Mireille Delmas-Marty employée dans une tribune alarmiste de Libération de «despotisme doux».
Allergique à la critique, le porte-parole du gouvernement Christophe Castaner avait ainsi déjà appelé de façon très pédagogique les médias à ne pas trop attaquer la ministre du Travail Muriel Pénicaud, impliquée dans l'enquête sur le voyage d'Emmanuel Macron à Las Vegas en janvier 2016. Mais les députés de la majorité présidentielle ont aussi eu droit à leurs premières leçons, après que quelques voix dissonantes se sont fait entendre au sujet de la suppression des fonds de la réserve parlementaire dans le cadre du projet de loi de moralisation de la vie publique.
Pour la première fois, la majorité présidentielle, réputée docile et inexpérimentée, menace donc de ruer dans les brancards, et Emmanuel Macron se voit contraint de descendre des cimes afin de recadrer ses troupes.«Gardez cette culture du respect mutuel et du travail avec le gouvernement», a-t-il rappelé ce même 19 juillet avec douceur – mais fermeté bienveillante. Tout en articulant, dans la droite ligne de la réthorique du «en même temps», le président a tenu à répondre aux critiques de ses détracteurs. «Il n'y a pas de caporalisme ici, il n'y a pas d'ordre jupitérien, comme diraient certains», a-t-il martelé.
A charge donc des députés de la majorité présidentielle, pour beaucoup des novices, de faire l'exégèse de ces injonctions contradictoires, quitte à opter pour le système de la boîte à idées, certes ludique mais infantilisant. «Avec des idées que vous ferez monter», a précisé le président aux mêmes députés».
«Parce que c'est notre projet !»
Pourtant, à sa décharge, Emmanuel Macron ne prend personne par surprise. Candidat à la présidence, il avait annoncé sa méthode on ne peut plus clairement. «Chaque candidat qui sera investi [par En Marche!] signera avec moi le contrat avec la Nation», avait ainsi fait savoir le candidat en février 2017, au micro de France Inter. «Aucun candidat investi ne pourra exprimer de désaccord avec le cœur de notre projet», avait-il prévenu un mois avant lors d'une conférence de presse, le 19 janvier 2017. Une fois élu, Emmanuel Macron ne change pas de ligne. «Nous allons avoir beaucoup d’élus, presque trop, plus de 400. Il va falloir les encadrer pour éviter le foutoir», aurait déclaré Macron, selon le Canard enchaîné du 7 juin 2017 juste avant le premier tour des Législatives.
La majorité présidentielle neutralisée, c'est donc à ce qu'il reste d'opposition à l'Assemblée nationale de faire entendre sa voix. Marine Le Pen, affaiblie par sa défaite à la présidentielle et les dissensions internes du Front national est tout de même montée au créneau pour défendre Pierre de Villiers. «Cette démission illustre les dérives très graves et les limites très inquiétantes de Monsieur Macron, aussi bien dans son attitude que dans sa politique», a-t-elle déploré dans un communiqué. Et de poursuivre : «Humilier devant ses troupes un homme comme le général de Villiers n'est pas digne d'un vrai chef des Armées. Sabrer dans le budget de la Défense, au mépris de sa propre parole et des dangers du monde, n'est pas digne d'un chef d'Etat lucide et responsable.»
Même son de cloche du côté de La France insoumise, où l'on condamne le limogeage du chef d'état-major. «La démission du général de Villiers est une preuve cinglante d'échec de la politique de Macron et de sa méthode brutale», a ainsi dénoncé le député insoumis Alexis de Corbières. «C'est une situation sidérante. Le général a participé à une réunion à huis clos et son devoir et son honneur est de répondre franchement, clairement, à toutes les questions qui lui sont posées», a tempêté pour sa part Jean-Luc Mélenchon. Et d'ajouter : «Si le général de Villiers s'exprime de cette manière là c'est parce qu'il y a un problème [sur le budget de la défense].» Face à la majorité silencieuse des quelque 360 députés LREM et Modem, l'opposition risque toutefois de ne pas faire le poids.
Alexandre Keller
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