Après une traversée du désert de plus de 20 ans, François Bayrou, ministre de l'Education de 1993 à 1997, s'était enfin retrouvé de nouveau au sommet de l'Etat. Qui plus est au poste prestigieux de ministre de la Justice. 35 jours exactement après la passation de pouvoir à l'hôtel de Bourvallais, place Vendôme, le maire de Pau se voit contraint de démissionner, laissant en héritage un projet de loi de moralisation de la vie publique mal né. Mais que s'est-il donc passé ?
L'enquête préliminaire sur les assistants parlementaires des députés européens du Mouvement démocratique (MoDem) y est certes pour beaucoup. Après la démission de Sylvie Goulard, éphémère ministre des Armées également issue des rangs du MoDem, motivée par le souci de se défendre au mieux, l'effet domino était inévitable pour Marielle de Sarnez et François Bayrou. Comment en effet s'accrocher à son poste, en attendant le couperet d'une éventuelle mise en examen, la ligne rouge tracée pour les membres du gouvernement par Edouard Philippe ? Mais, en réalité, François Bayrou renonce aussi après une impressionnante série de couacs et de faux-pas, à commencer par ce qui ressemble fort une incompatibilité d'humeur avec le président, Emmanuel Macron.
Le prix du ralliement de François Bayrou en février 2017
Au tout début, l'erreur de casting prend son origine fin février 2016 dans le ralliement de François Bayrou à Emmanuel Macron en grande pompe. Le candidat d'En Marche! connaît alors un passage à vide dans la campagne présidentielle. Alors que Marine Le Pen est donnée en tête par les sondages, rien n'indique qu'au cas où il serait élu, il bénéficierait de la majorité présidentielle écrasante que l'on sait. Mais, la présidentielle passée, l'alliance avec le parti centriste devient vite encombrante.
A l'approche des législatives, François Bayrou, se posant en figure tutélaire, tape du poing sur la table pour se plaindre du faible nombre de candidats MoDem investis par La République en marche (LREM) le 11 mai dernier. «La liste des investitures publiées [...] est celle du mouvement politique En Marche!, elle n'est en aucun cas celle à laquelle le MoDem a donné son assentiment», tonne François Bayrou, rongeant son frein.
Ce dernier met alors presque en demeure LREM de corriger le tir. «En souhaitant que dans les heures qui viennent, un mouvement de raison permette des investitures communes dans toutes les circonscriptions comme Emmanuel Macron et moi en sommes convenus depuis le premier jour de notre entente», prévient-il alors. Le MoDem aura finalement sa part du lion à l'Assemblée nationale. Profitant de la vague LREM, le parti de François Bayrou passe de seulement deux députés à 42.
Ministre de la Justice, mais «citoyen» trop indépendant
Nommé ministre de la Justice le 17 mai, le bouillonnant centriste continue d'enchaîner les impairs. Deux jours après sa nomination, François Bayrou est convoqué au tribunal dans une affaire de diffamation. Le nouveau ministre de la Justice ne se rendra d'ailleurs pas à la convocation. Le 30 mai suivant, dans le cadre de l'enquête préliminaire visant les assistants parlementaires européens du MoDem, il apporte son soutien sur Twitter à Marielle de Sarnez, secrétaire d'Etat aux Affaires européennes.
Une telle prise de position de la part d'un ministre de la Justice, lequel a le parquet sous ses ordres, suscite un tollé. Pas de problème pour François Bayrou, Marielle de Sarnez, venue à son secours explique que c'est le citoyen qui s'exprimait, pas le ministre.
Début juin, le ministre admet avoir appelé Radio France pour se plaindre d'une enquête journalistique en cours sur le financement de son parti le MoDem. Là encore, François Bayrou fait valoir que c'était le citoyen qui s'exprimait, pas le ministre. «Quand on est ministre, on ne peut plus réagir comme quand on est un simple citoyen», avait rappelé le Premier ministre Edouard Philippe le 13 juin, afin de recadrer François Bayrou.
Mais c'était peine perdue, le ministre, peut-être grisé par le pouvoir, après 20 ans de traversée du désert, rétorquait dans la foulée qu'il ne renoncerait pas à sa liberté de parole. «Chaque fois qu'il y aura quelque chose à dire à des Français, à des responsables, qu'ils soient politiques, qu'ils soient journalistiques, qu'ils soient médiatiques, chaque fois qu'il y aura quelque chose à dire, je le dirai», avait-il martelé, impérial. Le maire de Pau semble avoir oublié qu'il n'était pas coprésident de la République. Le président de la République, lui, a décidé d'arrêter les frais. Les Français aussi, par ailleurs si l'on en croit les sondages – sans valeur scientifique toutefois – que de nombreux médias ont lancé sur les réseaux sociaux.
Alexandre Keller
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