S'adressant à la presse depuis son QG de campagne le 1er mars, François Fillon a déclaré qu'il ne renonçait pas à être candidat à la présidentielle, en dépit de sa mise en examen par la justice prévue le 15 mars prochain. L'annonce de son maintien dans la course à l'Elysée, alors qu'il avait lui même déclaré «imagine-t-on le général de Gaulle mis en examen» a fait réagir les élus. Mais même à droite, tous ne partagent pas le même enthousiasme.
Au-delà du cercle proche, la droite le soutient du bout des lèvres
Les membres de la garde rapprochée de l'ancien Premier ministre reprennent le discours du candidat et font part de leurs soupçons envers la justice et le calendrier judiciaire. «Je ne veux pas juger les juges, mais enfin le mettre en examen le 15 mars, deux jours avant le fait qu'on ne puisse plus signer pour qui que ce soit, c'est quand même bizarre...», s'est étonné le député Les Républicains (LR) de Paris, Bernard Debré au micro de BFMTV. «Il n'appartient pas à un magistrat seul de décider que les électeurs ont tort», a renchéri le sénateur de la Meuse, Gérard Longuet.
Certains redoublent même d'éloquence pour vanter la défense choisie par François Fillon, tel le député LR du Loiret, Serge Grouard, très proche du candidat. «J'ai vu un homme déterminé, qui a du caractère. Il faut être courageux. Il est là, il est à la barre et ça, c'est la trempe d'un homme d'Etat», a-t-il déclaré au micro d'Europe 1. Plus dithyrambique encore, Roger Karoutchi, sénateur LR des Hauts-de-Seine, n'hésite pas à invoquer Philippe Séguin et le général de Gaulle.
Néanmoins, l'enthousiasme de la droite est bien moins palpable en dehors du cercle des fillonistes. Présente lors de la déclaration de François Fillon, Nadine Morano, fidèle de Nicolas Sarkozy, a réagi au micro de BFMTV. «Il faut respecter son choix de se battre, il a le droit non ? Même si ce n'est pas facile», estime-t-elle. Quant à ses chances de remporter l'élection, «c'est les Français qui décideront», lâche-t-elle sans grand entrain.
Bruno Le Maire, ancien rival de François Fillon à la primaire de la droite et du centre en novembre dernier, a démissionné de son poste de conseiller en politique étrangère du candidat. «Je crois au respect de la parole donnée», indique-t-il dans un communiqué, faisant référence à la promesse qu'avait faite François Fillon, le 26 janvier, de se retirer de la course à l'Elysée s'il était mis en examen. Après avoir longtemps promu l'idée d'un plan B, en vain, le député de l'Eure marque ainsi un désaccord net avec la voie empruntée par son parti.
Pour la gauche, la défense Fillon rejoint la défense Le Pen
A gauche, c'est la charge contre la justice à laquelle François Fillon s'est livré qui est unanimement dénoncée. Le candidat du parti socialiste Benoît Hamon, en campagne en Bretagne, s'indigne contre «des propos d'une incroyable violence à l'égard des magistrats et de la justice». Ce reproche est également partagé par le ministre de l'Education nationale Najat Vallaud-Belkacem, qui a déclaré au micro de France Culture : «Il met en péril les institutions de la République.»
Pour le député socialiste du Val-d'Oise, Dominique Lefebvre, l'argumentaire déployé par François Fillon le rapproche de Marine Le Pen, qui a d'ores et déjà annoncé qu'elle refuserait de répondre aux questions des magistrats dans le cadre de l'affaire des emplois présumés fictifs d'aides parlementaires d'élus du Front national à Strasbourg.
Yannick Jadot, ancien candidat écologiste qui a finalement rallié la candidature de Benoît Hamon qet qui était aussi en Bretagne, établit un parallèle entre les candidats Front national et Les Républicains : «Le couple Fillon-Le Pen pollue cette élection présidentielle. Les Françaises et les Français ont besoin de solutions, pas d'un feuilleton.»
Au FN, attaquer la justice sans défendre Fillon
La situation délicate dans laquelle il se trouve empêche le Front national (FN) de se joindre au concert d'indignation à l'encontre de François Fillon et le pousse à rester prudent. Sa présidente, Marine Le Pen, n'a d'ailleurs toujours pas réagi, plusieurs heures après l'annonce de son concurrent à droite. Tout en dénonçant le «nombrilisme» du candidat Les Républicains, l'eurodéputé FN Nicolas Bay partage les soupçons d'instrumentalisation de la justice émis par le candidat des Républicains.
Afin de conserver la ligne de défense du Front national tout en se prémunissant contre une apparente solidarité avec Les Républicains, Gilbert Collard, soutien de Marine Le Pen, pousse la logique de la défense de François Fillon jusqu'au bout. Estimant plus cohérent de ne pas répondre aux juges si l'on remet en cause leur neutralité, il raille sa décision d'obtempérer tout en accusant les magistrats.
Florian Philippot a développé la même idée au micro d'Europe 1. «Je vois également un paradoxe, une incohérence dans les propos de François Fillon quand il parle d’assassinat politique et qu’il participe de cet assassinat. Il ne peut plus faire campagne sur le fond», estime le vice-président du FN.
Des visions divergentes du rapport entre justice et politique
Sur un ton plus léger, Jean-Luc Mélenchon, candidat de la France insoumise, cité par l'AFP, se veut compatissant et dit avoir «de la peine» pour la droite, qui mériterait «un candidat présentable». Une remarque ironique destinée à souligner que les deux autres principaux rivaux de François Fillon à la primaire de la droite ont, eux aussi, été impliqués dans des affaires judiciaires.
C'est précisément la question du rapport entre justice et politique qui fait le plus réagir la classe politique et qui suscite le moins l'unanimité. Sans s'en prendre directement à François Fillon, l'ancienne Garde des sceaux, Christiane Taubira, a tweeté un message rappelant l'importance de «l'indépendance de la Justice» autant que celle... de «la présomption d'innocence».
A l'inverse, beaucoup plus offensif envers François Fillon dont il estime qu'il perd «le sens des réalités», Emmanuel Macron réfute l'idée selon laquelle la légitimité du suffrage universel l'emporterait sur celle de la loi. «Ne donnons pas au vote démocratique le rôle de l’absolution, ce n’est pas le sien», a affirmé le candidat d'En Marche ! alors qu'il se trouvait en visite au Salon de l'agriculture, où François Fillon a dû annuler sa visite prévue le 1er mars.
Par le passé, c'est précisément cette vision que défendait François Fillon. Son discours est désormais aux antipodes de cette conception, puisqu'il fait primer l'élection sur la procédure judiciaire. Quelques minutes après sa conférence de presse, le hashatg #deGaulle est devenu l'un des plus populaires sur Twitter, comme pour saluer le revirement du candidat des Républicains.
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